2019 : ouverture du musée du cinéma à Los Angeles

Réservez vos billets d’avion ! L’Academy Museum of Motion Pictures ouvrira ses portes fin 2019 à Los Angeles. Piloté par l’Ampas (Academy of Motion Picture Arts and Sciences, en charge aussi des Oscars), il investira un bel immeuble Art Déco (dit Saban Building) construit en 1939 pour la May Company et situé à côté du Lacma. Cet ancien magasin de vêtements, qui fait l’angle entre Wilshire Boulevard et Fairfax Avenue, aperçu dans Miracle Mile de Steve DeJarnatt (1988), a été augmenté d’une gigantesque bulle de verre par Renzo Piano (les Américains préfèrent la nommer « soap bubble »), contenant une luxueuse salle de cinéma.
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Évidemment, les chiffres avancés par Hollywood impressionnent. L’Academy Museum of Motion Pictures sera assurément l’un des plus grands musées du cinéma du monde avec un budget d’édification qui s’élève à 388 millions de dollars (250 millions prévus à l’origine), 800 000 visiteurs attendus par an, trois étages d’exposition permanente (sur presque 3 000 mètres carrés), un espace d’exposition temporaire, une vaste salle de cinéma (le David Geffen Theater, 1 000 places avec une fosse d’orchestre) capable de passer tous les formats argentiques et numériques, une salle de conférences de 288 sièges, et bien entendu des espaces éducatifs, des boutiques, un restaurant…

La fructueuse campagne de recherche de fonds présidée par Bob Iger, Annette Bening et Tom Hanks, lancée en 2012, a été réalisée « à l’américaine », selon l’expression de Jacques Tati : certaines sections du bâtiment ou du musée étaient à vendre, le Red Carpet Stairs étant le moins coûteux (2,5 millions de dollars seulement…) Par exemple, Steven Spielberg et Dreamworks Animation ont donné en juin 2014 chacun 10 millions de dollars, avec l’assurance de voir leurs noms figurer dans les espaces acquis. Disney, Dolby, Universal, Warner, les descendants de Shirley Temple et de Cecil B. DeMille, etc., et même Netflix, ont payé eux aussi leur entrée.

D’ailleurs, dans le grand lobby, les visiteurs découvriront d’abord la Spielberg Family Gallery, avec une exposition intitulée “Making of : The Wizard of Oz”. On y verra, nous l’espérons, la fabuleuse caméra Technicolor jusqu’à présent stockée dans les réserves du Mary Pickford Center, et aussi les célèbres « Dorothy’s ruby slippers » que Judy Garland chaussait dans le film en 1938. À noter que ces souliers sont un peu comme les fragments de la croix du Christ, il y en a plusieurs, et notamment en exposition permanente à la Smithsonian de Washington… La paire de chaussures exposée religieusement au musée de l’Academy proviendra de la collection de Leonardo DiCaprio; d’autres donneurs anonymes ont également aidé à l’achat de ces slippers.

 

Au deuxième étage du musée de l’Academy Museum, les visiteurs entreront dans la Wanda Gallery (financée par le Dalian Wanda Group) qui illustre les deux faces ontologiques du cinéma, c’est-à-dire « realism and fantasy », vus à travers Lumière et Méliès. Pour illustrer son propos, l’Ampas vient d’acquérir en France un exemplaire du Cinématographe Lumière : l’appareil sera donc mis à l’honneur à Hollywood, et il faut s’en féliciter.

On attend de voir la façon dont Méliès sera exposé, certainement d’une façon spectaculaire. Une collection d’appareils du « pré-cinéma » (lanternes magiques, jouets d’optique) a été acquise récemment à grands frais par l’Academy à Dubaï (donation partielle de Akram Miknas) – ce qui n’est pas l’endroit idéal pour faire de bonnes affaires, mais qu’importe, puisque l’argent y coule à flots…

Une « Story Films Gallery », logée dans la belle face avant ancienne et cylindrique du Saban Building, rendra hommage aux réalisateurs et aux techniciens du monde entier. Le travail de deux femmes réalisatrices, Alice Guy et Lois Weber, sera particulièrement honoré. Une « Modern Times Section » explore ensuite la façon dont les réalisateurs ont représenté la société : Chaplin, le cinéma soviétique d’Eisenstein et Vertov, le cinéma indépendant américain…

 

Le visiteur accède ensuite, toujours au deuxième étage, à un large espace, « The Studio System », qui raconte l’âge d’or des studios hollywoodiens. On pourra y voir les portes originales du Rick’s Café Américain de Casablanca (1942) et aussi la machine à écrire avec laquelle Hitchcock aurait écrit Psychose (1960). Ce dernier objet fait un peu pâle figure, en comparaison avec la tête de Mme Bates conservée par la Cinémathèque française à Paris !

 

Au troisième étage, dans la « Rolex Gallery » dont le nom se passe de commentaires sur le financeur, la Seconde Guerre mondiale est évoquée, de même que la naissance du néoréalisme (sujet peu en accord avec la philosophie du mécène…), la Nouvelle Vague, le Cinema Novo brésilien, le cinéma contemporain. Enfin, un « Stargate Corridor » rend hommage à 2001 de Stanley Kubrick (1968).

L’exposition permanente porte le titre “Where Dreams Are Made” et a été conçue par Kerry Brougher, directeur du musée – homme cultivé et cinéphile exigeant –, avec une équipe composée de personnalités reconnues, comme Rick Carter (production designer d’Avatar), Ben Burtt (sound designer de Star Wars de Lucas et E.T. de Spielberg), etc.

 

Enfin, le quatrième étage, la « Marilyn and Jeffrey Katzenberg Gallery », accueillera les expositions temporaires : celle de 2019 sera consacrée à Hayao Miyazaki, et la suivante, en 2020, aura pour titre “Regeneration: Black Cinema 1900-1970”. Cette dernière sera conçue en collaboration avec un commissaire du National Museum of African American History and Culture de Washington.

 

Comme l’a rappelé justement Dawn Hudson, CEO de l’Ampas, cela fait plus de 90 ans que Hollywood, terre iconique du cinéma, espérait un musée du septième art. L’Historical Motion Picture Exhibit du Los Angeles Museum, ouvert en 1936, où l’on pouvait voir un costume de Chaplin, le mégaphone de Griffith, le fouet de William S. Hart, les éperons de Tom Mix, restait une expérience fétichiste. Ces dernières années, deux musées tentaient de combler les frustrations du cinéphile : le Hollywood Museum, à côté de Hollywood Boulevard, reste un merveilleux bric-à-brac à visiter : reconstitution du couloir de la prison d’Hannibal Lecter, masques de la Planète des singes, robes de Marilyn Monroe, Barbara Stanwyck, Sharon Stone, souvenirs de Hal Roach, Ramon Novarro, Max Factor, Laurel et Hardy, costumes de Sleepy Hollow, Fargo, Rocky, voiture personnelle de Marilyn, etc., le tout dans un joyeux désordre réparti sur plusieurs étages d’un immeuble ancien.

 

Près de Hollywood Boulevard également, le Hollywood Heritage Museum est censé être installé dans la grange qui a abrité les premiers studios de Cecil B. DeMille en 1913… sauf que ladite grange, sise originellement à un autre endroit, a entièrement brûlé depuis longtemps. La présentation des collections est modeste, il y a peu de public, et tout cela semble à l’abandon, malgré les efforts des volontaires qui essayent d’animer ce lieu. Pourtant, les collections contiennent quelques pièces remarquables, comme une caméra Technicolor (encore !), des accessoires et costumes des Dix commandements de Cecil B. DeMille, des projecteurs 35 mm provenant de la villa de Buster Keaton… Ce lieu désuet survivra-t-il à l’ouverture du musée du cinéma de l’Academy ?

À noter encore, à quelques encablures, le musée privé de l’ASC (American Society of Cinematographers), qui abrite l’une des plus belles collections au monde de caméras professionnelles…

Par ailleurs, Los Angeles accueillera aussi, après bien des difficultés, le Lucas Museum of Narrative Art, qui comprendra les collections personnelles de George Lucas sur l’art graphique américain du XXe siècle et l’univers de Star Wars. Le budget s’annonce modeste : 1 billion de dollars seulement ! On annonce, pour abriter ce musée, l’édification d’un nouveau building en forme de vaisseau spatial, bien évidemment.

 

Hollywood se devait d’avoir un musée du cinéma digne de son histoire : ce sera sûrement le cas grâce à l’Academy. Et la France ? Notre pays a inventé le dispositif cinématographique à la fin du XIXe siècle, grâce à Reynaud, Marey, Lumière et Méliès, mais il ne possède toujours pas de musée digne de ce nom. Le fondateur de la Cinémathèque française, Henri Langlois, avait ouvert en 1972 au palais de Chaillot un musée du cinéma étonnant, à la fois archaïque et révolutionnaire, et tout le monde l’avait copié, le Museum of Moving Image de Londres (1988-1999) par exemple. Fermé en 1997 à la suite d’une inondation, le musée de la Cinémathèque n’a jamais rouvert.

Pourtant, les collections de cette institution sont probablement les plus belles et les plus riches au monde : rassemblées depuis 1936 grâce essentiellement à des dons, elles sont internationales et couvrent tous les sujets de la technique, l’industrie et l’art cinématographiques. Quelque 6 000 appareils, 45 000 films, 4 000 costumes et objets, 50 000 affiches, un million de photos, des fonds uniques consacrés à l’archéologie du cinéma, à Méliès, au cinéma expressionniste, aux maquettes de décors, aux scripts, aux archives, à la technique…

La situation est donc paradoxale : la Cinémathèque française est l’une des plus riches au monde, mais ne possède pas d’écrin pour montrer ses trésors. À l’inverse, Hollywood s’apprête à ouvrir un lieu pharaonique, mais ne possède pas la même quantité de merveilles que Paris, les majors, depuis toujours frappés d’amnésie, ayant gardé très peu de leurs archives ou de leurs memorabilia…

Quasiment tous les grands pays européens présentent aujourd’hui des musées du cinéma : Turin, Berlin, Düsseldorf, Bradford… Et la France ? On attend un projet d’envergure qui puisse enfin satisfaire le rêve d’Henri Langlois : ouvrir un Louvre du cinéma !

 

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #14, p.28-29 (mis à jour en avril 2019)Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.