Maquettes, les interfaces tangibles

La démocratisation des technologies numériques – comme la réalité augmentée – participe du renouveau inattendu de la maquette. Elles ont longtemps été les objets de curiosité – voire les pièces magistrales – des parcours muséographiques. Loin de les marginaliser, les techniques numériques redonnent à ces maquettes, plans-reliefs (ou tout objet muséal de grande taille) une nouvelle attractivité.
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Les techniques de réalité augmentée comme Google Tango (ou ARKit, ARCore, etc.) mais aussi les vidéoprojections de type vidéomapping 3D font aujourd’hui de ces objets tangibles des supports d’information précieux et de plus en plus recherchés par les musées et les sites patrimoniaux. Les Centres d’interprétation d’architecture et du patrimoine (CIAP) ont porté les maquettes « augmentées » à leur cahier des charges, et les Villes qui postulent à devenir Villes d’Art et d’Histoire en ont même fait des passages obligés. « Les contraintes de mise en œuvre sont plus complexes que pour l’installation d’une table tactile ou d’une borne, prévient François Quéré, directeur des projets chez Anamnésia. Mais cette médiation, qui peut se montrer spectaculaire et collective, ne coupe pas le visiteur de l’objet réel. La maquette augmentée lui offre aussi une meilleure représentation tridimentionnelle de l’environnement. »

 

Maquette-Spectacle

À l’origine de la « maquette-spectacle » – on-situ (Chalon-sur-Saône) à qui l’on doit les premières bornes de réalité augmentée installées en 2005 à Cluny – distingue la maquette en volume animée par des vidéoprojections du plan au sol que le visiteur réactive en réalité augmentée au moyen d’une tablette. « La maquette-spectacle est conçue pour raconter une histoire aux visiteurs. Y ajouter une dimension interactive ou de la réalité augmentée ne serait guère pertinent. La réalité augmentée
 le devient par contre lorsque le visiteur se déplace sur un plan au sol. L’information suit alors son déplacement », remarque Erika Lamy, chargée de production chez on-situ.

L’agence de Chalon-sur-Saône reçoit carte blanche – ou travaille en étroite collaboration avec les scénographes – afin de mettre au point ces maquettes-spectacles qui font intervenir des vidéoprojections associées à des jeux de lumière. Sur une maquette blanche figurant le relief sont projetées dynamiquement des représentations cartographiques ou autres tracés afin de rendre compte de l’évolution du territoire, tandis qu’une projection frontale située au-dessus de la maquette apporte des éléments contextuels comme des tableaux ou une iconographie complémentaire. Ces deux niveaux d’information, qui peuvent parfois glisser d’un support à l’autre, facilitent la lecture des documents projetés. Élément central du musée archéologique de Jublains, la double projection sur écran frontal et maquette usinée en relief retrace ainsi l’histoire de la redécouverte de l’oppidum de Moulay. Si le vidéomapping révèle la topographie, la projection utilise habilement le hors-champ pour montrer des reconstitutions 3D d’édifices, mais aussi des objets issus des fouilles archéologiques. De même à l’espace Gislebertus à Autun, la maquette-spectacle autorise une exploration ludique du territoire en jouant de la confrontation de ces deux plans de projection perpendiculaires. Une bataille peut également faire l’objet d’un vidéomapping sur maquette, associé à une projection. Pour le Mémorial de Verdun et 
le Centre d’interprétation historique de la bataille de Valmy, les projections s’accordent ainsi pour retracer simultanément l’événement. Pour Valmy, la maquette en relief rappelle les positions des protagonistes et les phases de la bataille à travers l’animation
 de cartes projetées tandis que la projection arrière immerge au cœur de l’événement au moyen d’audiovisuels animés.

Grand favori également des centres d’interprétation, le plan au sol augmenté associe le spectaculaire à l’informatif et se découvre 
au moyen d’une tablette. Réalisée par on-situ pour le canton de Genève dans le cadre de l’exposition Dépasser les bornes (espace Quartier Libre SIG), la carte augmentée est représentative de cette médiation « analytique ». Développée avec les services d’urbanisme du canton à partir de leurs données statistiques, l’application en réalité augmentée visualise en temps réel sur la tablette des problématiques urbaines géolocalisées (circulation, pollution lumineuse ou sonore…) qui apparaissent en fonction de la zone parcourue par le visiteur sur le plan au sol (27 m2). Un autre calque thématique permet de découvrir les nouveaux projets d’urbanisme de la ville. « La Ville utilise ce plan comme un objet de médiation pouvant à la fois être exposé et devenir un objet de communication en développant un contenu régulièrement mis à jour », poursuit Erika Lamy. Le site de Bibracte possède lui aussi son plan au sol augmenté qui reproduit les fouilles archéologiques, lesquelles se découvrent en fonction du cheminement sur la carte dessinée sur des dalles de verre. Le site de l’oppidum du Mont Beuvray est également appréhendable au moyen d’une maquette animée racontant l’histoire de la ville gauloise disparue, à partir de sa topographie et d’une projection sur trois écrans.
 On-situ développe le plus souvent ses propres outils logiciels de réalité augmentée et fournit même le modèle 3D de la maquette usinée en résine. « Le cadrage est essentiel car il définit ce que l’on va raconter par la suite. » Les bornes de réalité augmentée font également l’objet d’une conception entièrement maison, comme c’est le cas pour rayon, la borne de Cluny (design par Adrien Gardère). On-situ assure dans ce cas toutes les étapes, de la définition et production des contenus 
au développement et à la fabrication, jusqu’à l’installation sur site. Le prochain dispositif ray-on de borne sera installé sur le belvédère de la Halle aux Sucres de Dunkerque (début 2018). Celle-ci balayera le paysage sur 360 ° 
et permettra de repérer des points d’intérêt du port. Plusieurs types d’interaction feront se superposer des documents virtuels sur des points ciblés. « Ray-on est conçue pour être esthétique et ergonomique, tout en se montrant très résistante aux conditions météorologiques, au vandalisme, etc. »

 

 

Valeur Patrimoine en prime

Classés Monuments historiques au début du XXe siècle, les plans-reliefs, dont la construction a été entreprise sous Louis XIV à des ns militaires, participent du patrimoine architectural. Les villes françaises très nombreuses, qui ont fait l’objet d’un tel plan-relief ou sont en cours de labellisation Ville d’Art et d’Histoire, sont incitées à mettre en valeur ces maquettes sous quelque forme que ce soit (physique ou numérique). Initiée par le château des Ducs de Bretagne, la maquette du port de Nantes datant de 1900 a été parmi les premiers plans-reliefs à faire l’objet, il y a trois ans, d’une rénovation en profondeur grâce aux outils numériques. Numérisée 
à très haute définition, la maquette de dix mètres de long, balayée par des vidéoprojecteurs installés au plafond, est connectée à trois tables tactiles de 32 pouces qui présentent des vues photographiques très haute résolution de la maquette. En fonction de la zone consultée, le visiteur accède à une base documentaire riche de plus d’une centaine de points d’intérêt documentés et géolocalisés sur la maquette. Parmi les intentions de développement, l’intégration de photographies de l’état actuel du port, ainsi que des séries de prises de vues orthophotographiques de l’IGN à différentes époques permettant de voir l’évolution du site. Pour Devocité, qui a mis au point le dispositif multimédia définitif, le plan-relief constitue un outil d’attractivité important du territoire : « Son modèle 3D peut se restituer sous la forme d’une maquette blanche qui fera l’objet d’un vidéomapping ou d’une application en réalité augmentée, remarque Arnaud Waels. La maquette peut être également redessinée au sol sous forme filaire à une très grande taille et être découverte avec un portable. » Appelée par la ville de Grenoble en « assistance de maîtrise d’ouvrage » (AMO), l’agence, qui s’est fait une spécialité des cartes interactives (avec manipulation des médias en multitouch, vidéoprojection ou géolocalisée sur mobile), a prototypé un double usage du modèle 3D : la ville se découvre dans un premier temps, à différentes époques (via un curseur chronologique), au moyen d’une application en réalité augmentée pointant sur une maquette physique installée dans le hall d’accueil d’un CIAP et, dans un second temps, en déambulation guidée dans les rues, toujours en réalité augmentée.

Pour d’autres projets de mise en scénographie des données topographiques (hors plan relief), Devocité opte toutefois pour la vidéo-projection. Ainsi, pour le musée de la Conciergerie à Paris, la maquette blanche réalisée par Tactile Studio est animée en vidéomapping orthogonal afin de figurer le parcours du condamné par le Tribunal révolutionnaire. Pour être plus expressive, l’installation audiovisuelle, développée en open source sous LibCinder et mise en œuvre par ETC, s’accompagne d’un jeu d’ombres et d’effets d’eau sur la Seine. Pour mettre en place ses applications, basées pour la plupart sur la reconnaissance d’images, Devocité recourt en général au moteur Unity et développe en langage Python ses propres outils de réalité augmentée. Est en cours de test, à l’agence, le module de réalité augmentée de Vidinoti, qui fonctionne avec le Software Development Kit (SDK) PixLive. Et ce, pour un projet d’envergure de mise en valeur cartographique de plusieurs plans-reliefs appartenant à une grande ville du Nord.

 

Retour au réel

Devant l’intérêt croissant du public pour les maquettes physiques (topographiques ou non), les musées et institutions culturelles n’hésitent plus à faire de cet objet tangible, enrichi en numérique, le support privilégié de la médiation à part égale avec un dispositif multimédia de type table multitouch. Anamnesia y a souvent recours pour appuyer le propos muséographique. Aussi, la station Europe au Parlement européen à Bruxelles expose une grande maquette augmentée du campus afin de faire comprendre l’échelle du site et permettre de mieux s’y orienter. Selon la manière dont le visiteur dirige la tablette, des éléments d’information apparaissent sur la maquette virtuelle (effets vidéo, personnages, etc.). Pour faciliter le déplacement autour de la maquette, des capteurs 3D temps réel Structure (Occipital) ont été utilisés ; ils permettent de recaler très précisément la scène virtuelle sur la maquette préalablement scannée en 3D (par sécurité). Pour le CIAP à Châteauneuf (Bourgogne), ce n’est pas non plus un objet digital, mais un avatar de château-fort qui raconte l’histoire du monument au moyen d’un vidéomapping zénithal. Des bornes en libre accès permettent également aux visiteurs de prendre le contrôle en affichant sur la maquette des points d’intérêt ou des contenus spécifiques, lesquels se rajoutent à la projection. Le même principe de double projection caractérise la mise en valeur de la maquette « augmentée » de la ville de Nancy réalisée dans le cadre de la rénovation du musée lorrain et exposée à l’église des Cordeliers (ouverture mi janvier 2018).

La maquette enrichie en réalité augmentée peut également constituer une première inscription, forte d’une nouvelle institution. Annoncant les futures Cité des Vins de Bourgogne, à Beaune, et Cité de la Gastronomie et du Vin à Dijon, la Maison des Climats de Bourgogne, qui a ouvert l’été dernier à Beaune, s’est dotée d’une impressionnante maquette des Climats (ou parcelles de vignes) de dix mètres de long (scénographie de Marion Golmard). Représentant le vignoble de la Côte de Beaune et de la Côte de Nuits constitué par 1 247 climats différents (inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015), cette maquette s’appréhende en réalité augmentée « progressive ». Signée reciproque, l’application disponible sur tablette Android comporte pas moins de quatre « filtres » temporels activés manuellement depuis l’interface, chacun d’eux correspondant à une époque déterminante quant à la formation des climats : Préhistoire, Moyen-Age, Époque moderne et Aujourd’hui. Chaque filtre possède encore une fonction « zoom » permettant d’accéder à différents niveaux de lecture sur ces époques en fonction de la distance du visiteur par rapport à la maquette : « À deux mètres, le visiteur obtient une vue générale de la zone et en perçoit les grandes dynamiques. Plus il se rapproche, plus les informations se focalisent à l’échelle des communes. À 50 centimètres environ de la maquette, il découvre toutes les spécificités des climats. Inscrire tous les noms des climats et leurs caractéristiques a constitué un véritable défi », précise Sophie Schaffar en charge de l’application en réalité augmentée avec Sébastien Cotte chez reciproque. L’application a été développée à partir de Wikitude et ARToolKit. En fonction du flux vidéo envoyé par la caméra de la tablette filmant le contour dessiné des climats sur la maquette, lesquels font office de marqueurs, elle recalcule en permanence la scène virtuelle qui se superpose aux 1 500 polygones de la maquette, préalablement numérisée. « Du fait de la petite taille des climats, le modèle doit être correctement calé au fur et à mesure du déplacement du visiteur. Le moindre décalage occasionnant des erreurs. » Pour chaque époque, l’application en réalité augmentée indique alors, de manière graphique ou textuelle, l’appellation du climat, le cépage, la superficie, etc., sans oublier de faire apparaître des éléments topographiques ou patrimoniaux comme des monuments historiques reconstitués en 3D façon « papier découpé ». Pour ne pas affecter l’ergonomie de l’application, toutes les vidéos (sous forme d’interviews), articles et images d’archives sont rassemblés dans un catalogue à part jouant le rôle de médiathèque numérique (bientôt disponible sur les stores).

Pièce centrale du centre d’interprétation,
 la maquette fait face à une grande fresque vidéo de 30 minutes alternant récits et vues aériennes de la zone (réalisation par Vincent Lévy). Confortant la sensation d’immersion, l’ambiance sonore diffusée en 5.1, créée par Kerwin Rolland à partir entre autres de prises de son in situ, accompagne cette médiation visuelle. La partie médiathèque de l’application sur tablette, en version bilingue (français/ anglais) depuis la rentrée 2018, se découvre, quant à elle, avec le casque FreeSound.

 

* Article paru pour la première fois dans Sonovision #10, p.24-26. Abonnez-vous à Sonovision pour accéder à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.


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