Sons 3D à l’Abbaye

À la croisée de la musique, du patrimoine et de l’histoire, le programme de médiation numérique et sonore de l’Abbaye aux Dames à Saintes est un modèle du genre.
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Haut lieu de l’architecture romane dédié à la musique (avec son célèbre festival de musique baroque, son conservatoire et son orchestre), l’Abbaye aux Dames à Saintes (dirigée par Odile Pradem-Faure et Frédéric Saint-Pol) désirait attirer de nouveaux publics pour les embarquer dans des expériences à la fois sensorielles et musicalement actives.

Baptisé « Musicaventure », l’ambitieux programme de médiation élaboré en 2015, qui court jusqu’en 2022, a donné lieu à la création de dispositifs tout à fait originaux comme les Voyages sonores, les Concerts spatialisés et le Carrousel musical.

Premier volet développé par l’agence d’ingénierie culturelle Aubry et Guiguet (AG Studio) avec Narrative et Modulo Digital (en charge depuis une dizaine d’années du développement digital de la Cité musicale), les deux parcours d’interprétation, intitulés Voyages sonores, ont misé sur le son spatialisé et « augmenté ». Exemplaires pour la simplicité de leur interface (un casque stéréo et un guide multimédia), la justesse de leurs scénarii et la parfaite maîtrise de leur réalisation, les Voyages sonores, en service depuis deux ans, continuent à remporter un vif succès auprès du public (13 000 visiteurs en 2017).

 

 

Voyages en son 3D

L’enjeu était de narrer l’histoire de l’Abbaye aux Dames au travers de la musique (depuis sa fondation au XIe siècle) et d’immerger le public dans des narrations sonores, puissantes et « augmentées » par un son binaural (ou son 3D) restitué au casque. « Le son 3D impacte fortement l’imaginaire en révélant l’invisible », rappelle Cécile Cros, cofondatrice avec Laurence Bagot de l’agence multimédia Narrative. « Le patrimoine devient alors le décor d’un récit mêlant émotions et connaissances. »

Dans les deux voyages sonores proposés à Saintes, Le Voyage initiatique et Le Voyage héroïque, la musique est la narratrice inspirée de l’histoire, faisant revivre, pour le premier parcours, les temps forts et les hôtes célèbres du lieu (abbesses, compositeurs, personnages historiques…) ; en prenant la forme, pour le second voyage plutôt dédié au jeune public, d’une quête sonore qui fait « parler » les murs et réveiller les fantômes de l’Abbaye.

Pour que l’effet d’immersion soit optimal, tous les tournages ont été réalisés in-situ, et les comédiens ont été enregistrés dans les salles mêmes où les visiteurs sont susceptibles de se trouver. Enregistrées également sur place, toutes les musiques scandent les deux parcours, ainsi que la plupart des bruitages qui renseignent sur les époques traversées. Seuls ont été réalisés en postproduction des effets sonores impossibles à reproduire comme des bombardements par exemple (pendant la Seconde Guerre mondiale).

Pour restituer la qualité et la grande diversité acoustique de l’Abbaye (avec ses salles voûtées, sa nef), les designers sonores Bergame Periaux et Léa Chevrier ont procédé à un enregistrement binaural non traqué au moyen d’une tête artificielle Neumann, accompagné de prises à la perche. « Nous avons choisi de travailler sur deux espaces distincts », explique Léa Chevrier, ingénieur du son sur Le Voyage initiatique. « Les prises binaurales externalisent le son tandis que les prises traditionnelles l’intériorisent dans le casque. »

L’option Head Tracking, qui suit en permanence la direction de la tête via la centrale inertielle du casque et recalcule le spectre sonore environnant, ne se justifiait pas pour ces parcours de découverte dont l’enjeu était d’obtenir un effet immersif puissant plutôt qu’un rendu sonore précis : chaque parcours, comprenant treize stations d’écoute musicales (pour environ deux minutes d’écoute chacune), étant conçu de sorte à ce que la direction de la tête du visiteur soit toujours connue.

Les deux parcours sonores se déclenchent de manière automatique grâce à une quarantaine de balises Bluetooth (iBeacons) disséminées à l’intérieur et à l’extérieur du monument. « Le public est invité par la voix du narrateur à se déplacer de station en station. Mais les parcours, minutés de manière identique, réservent une grande liberté dans la découverte de cette visite séquentielle », remarque Jean de la Roche, de Modulo Digital.

Pour expérimenter les parcours dans les meilleures conditions d’écoute immersive, Modulo Digital, qui a également géré toute la partie technique, a opté pour un casque haute définition Audio-Technika ATH MSR 7 fermé, relié à un guide multimédia Meder Commtech : « Tout le contenu est embarqué sur le guide. Les visiteurs partagent ainsi une expérience sonore de qualité identique, poursuit Jean de la Roche. La solution de l’application, qui demande à être téléchargée sur le matériel de l’utilisateur, n’a pas été retenue pour cette raison. »

Si l’immersion sonorhe a démontré toute sa pertinence à l’Abbaye aux Dames et est appelée à conquérir d’autres sites et d’autres publics, le dispositif de médiation devrait évoluer. Modulo Digital travaille ainsi à une nouvelle génération de casque qui fera l’économie du guide tenu à la main. Autonome et doté d’une ergonomie adaptée au web sonore (ou à d’autres types d’immersion), le casque sera cette fois-ci accompagné d’un son binaural traqué (ce qui autorisera des parcours interactifs) et d’une localisation plus fine de la personne en cartographie simultanée ou Slam (simultanuous localisation and mapping).

Forte du succès des Voyages sonores à l’Abbaye aux Dames, Narrative commence, quant à elle, à déployer, pour d’autres lieux et narrations, ce principe de déambulation immersive en son 3D. C’est ce scénario de visite qu’a choisi, pour sa part, le château de Vaux-le-Vicomte (ouverture au printemps 2019).

 

 

Un Manège à trois temps

L’Abbaye aux Dames étend encore sa vocation musicale en se dotant d’un outil original de sensibilisation à la musique, le Carrousel musical. Ouvert au printemps 2018, celui-ci emprunte la forme d’un manège forain et invite à une approche sensorielle, dynamique et ludique de la musique.

Sous son « chapiteau » aux facettes miroitantes, dix-sept instruments virtuels, accessibles dans une structure en osier évoquant le corps d’un basilic géant (créature mythique du bestiaire roman), sont à découvrir et expérimenter en solo ou à plusieurs le temps de trois tours de manège. Certains s’inspirent d’instruments « classiques » comme le piano, la flûte ou les percussions, d’autres sont plus inattendus et invitent à tirer sur des cordes (vocales) pour déclencher des voix, actionner des manettes pour jouer d’un accordéon ou déplacer ses mains au-dessus d’un Theramin…

Sur cet « instrumentarium » numérique, tournant et sonore, chacun peut improviser et ressentir, quel que soit le niveau de sa pratique, le plaisir du musicien. Guidé par un « chef d’orchestre », le tour de manège s’achève sur l’écoute d’une partition musicale issue des notes et des sons émis par tous les participants (une vingtaine peuvent chevaucher le corps du basilic).

Imaginée par AG Studio avec Modulo Digital et l’équipe de l’Abbaye, cette expérience musicale a nécessité la création, par le studio de conception sonore et multimédia Blue Yeti (Royan), d’une lutherie spéciale : les instruments disposant tous d’une interface gestuelle spécifique et incluant des périphériques Midi (claviers et pads), des capteurs (rotatifs, de contact, piézo-électriques, magnétiques…) ou des interfaces leapmotion. Les instruments du basilic reconfigurent également leur timbre ou leur volume sonore en fonction de la composition choisie lors du tour de manège.

Pour que la restitution finale soit en effet harmonieuse, trois compositions sur mesure (baroque, électro et jazz) ont été écrites pour servir de trame harmonique aux partitions des joueurs : « Toutes les notes produites sur les instruments appartiennent à des gammes prédéfinies et harmonisées entre elles », précise le co-fondateur de Blue Yeti, Jean-Michel Couturier, qui signe les compositions avec Jean-Michael Celerier, Gregory Cosenza, Anne Morata et Catherine Contour. « Le clavier du piano ne propose ainsi que des touches blanches. Pas de risque de faire de fausses notes : le Carrousel ne prend en compte que l’expressivité du jeu. »

Pour mettre au point cette délicate orchestration, Blue Yeti a recouru entre autre à Ossia Score, un logiciel open source co-développé avec LaBRI/Scrime de l’Université de Bordeaux. « Score interprète les sons et les notes produites par les instruments virtuels (issus pour la plupart de la base de données Kontakt de Native Instruments) en fonction des données issues du programme sous Max/MSP gérant les capteurs », poursuit Jean-Michel Couturier.

« Dans le Carrousel, Score est également utilisé comme un véritable séquenceur audio, avec le développement de nouvelles fonctionnalités pour la lecture de fichiers audio, la prise en charge des plugs-in VST des instruments virtuels, la gestion Midi, le mixage du son et la gestion de cartes audionumériques professionnelles. »

Cette partition collective est diffusée par une couronne de huit haut-parleurs amplifiés (et un caisson de basse) situés en périphérie du Carrousel, chaque musicien disposant d’un retour direct du son qu’il produit via un haut-parleur placé dans l’instrument. Conçu également comme la partition d’un spectacle global, le manège (en liaison wi-fi et HF entre le plateau tournant et le dôme) abrite par ailleurs une création lumière de Christophe Renaud, laquelle se module en fonction des changements de gamme de la composition musicale (via six lyres asservies et projecteurs PAR).

Les instruments, quant à eux, sont soulignés par des rubans de pixels led RGB contrôlés en Artnet. Parachevant la magie du manège, un praxinoscope motorisé installé sous le dôme, dont l’effet est doublé par un miroir, livre, lors du final, une animation dont la vitesse de rotation (et son éclairage) est en lien avec la musique.

Cette machinerie complexe (mise en œuvre par RC Audiovisuel) garde toutefois l’esprit forain : le Carrousel musical créé et assemblé par Métalobil peut être potentiellement démonté (surtout le corps du basilic) et installé ailleurs. « Nous pouvons imaginer qu’il fasse l’objet d’un parcours d’auteur. Un musicien célèbre pourrait ainsi se l’approprier et donner sa vision », propose François Guiguet, cofondateur de AG Studio.

 

 

Concerts spatialisés à l’Abbatiale

Proposés en même temps que les Voyages sonores, les Concerts spatialisés permettent aux visiteurs toujours équipés d’un casque Audio-Technika de réécouter, in-situ, les plus grands concerts du festival. Là encore, la spatialisation du son participe à l’effet d’immersion.

Les enregistrements (un ou deux par an depuis 2016) se font en binaural, mais aussi en multicanal. Ils recourent tous à une tête binaurale et parfois sont complétés par des micros (un arbre Decca à cinq micros par exemple) : « Trois micros sont omnidirectionnels et les deux autres sont placés près des instruments afin de récupérer des sons de proximité », précise Léa Chevrier qui est intervenue entre autre sur Les Vêpres de Monteverdi. « Au mixage, les sons sont binauralisés pour recréer un 5.1 dans le casque. Ce que nous recherchons, dans ces Concerts spatialisés, c’est plutôt la sensation d’immersion que la précision de la spatialisation. »

 

 

Cabinets musicaux et Musicothèque, les futures partitions

Pour compléter le projet musical de l’Abbaye aux Dames, ont été prévus des Cabinets musicaux ainsi qu’une Musicothèque. À l’étude depuis trois ans par AG Studio (pour une ouverture en 2020), les Cabinets musicaux seront thématiques et mettront en avant l’interprétation musicale en s’appuyant sur de nombreux audiovisuels et interactifs. La Musicothèque (à l’horizon 2022), quant à elle, valorisera le patrimoine musical et permettra de consulter les archives de la Cité musicale sur place (dans des lieux d’écoute individuels) mais aussi en ligne.

Depuis les années 1970, la Cité, qui réalise des captations audio et vidéo à chaque édition de son festival, dispose en effet d’un fonds riche de quelque 300 documents sonores (déposés entre autre à l’INA) dont des pièces rares comme les enregistrements du chef d’orchestre Philippe Herreweghe, l’un des fondateurs du festival.

 

 

Le son 3D (ou binaural) permet de jouer avec l’espace et d’enrichir une narration. La voix devient un personnage romanesque qui entraîne le visiteur dans une épopée très évocatrice. © Julien Helaine-Narrative

Dans le Voyage sonore 3D, le visiteur, guidé par la voix d’un guide narrateur, s’immerge dans l’histoire de l’Abbaye aux Dames pour une déambulation d’une durée de plus d’une heure. © Sébastien Laval

Ponctués de balises iBeacon disséminées sur le parcours du visiteur, les voyages sonores 3D comportent plusieurs stations d’écoute matérialisées par des plots rouges. © Sébastien Laval

Une tête artificielle a été utilisée pour l’enregistrement du son binaural (restitution en stéréo dans le casque). © Julien Helaine-Narrative

Érigé devant l’entrée de l’Abbatiale, le Carrousel musical abrite un instrumentarium numérique et inédit. © Marion Bertin

Sons 3D à l’Abbaye

À la croisée de la musique, du patrimoine et de l’histoire, le programme de médiation numérique et sonore de l’Abbaye aux Dames à Saintes est un modèle du genre.

Annick Hémery

Haut lieu de l’architecture romane dédié à la musique (avec son célèbre festival de musique baroque, son conservatoire et son orchestre), l’Abbaye aux Dames à Saintes (dirigée par Odile Pradem-Faure et Frédéric Saint-Pol) désirait attirer de nouveaux publics pour les embarquer dans des expériences à la fois sensorielles et musicalement actives.

Baptisé « Musicaventure », l’ambitieux programme de médiation élaboré en 2015, qui court jusqu’en 2022, a donné lieu à la création de dispositifs tout à fait originaux comme les Voyages sonores, les Concerts spatialisés et le Carrousel musical.

Premier volet développé par l’agence d’ingénierie culturelle Aubry et Guiguet (AG Studio) avec Narrative et Modulo Digital (en charge depuis une dizaine d’années du développement digital de la Cité musicale), les deux parcours d’interprétation, intitulés Voyages sonores, ont misé sur le son spatialisé et « augmenté ». Exemplaires pour la simplicité de leur interface (un casque stéréo et un guide multimédia), la justesse de leurs scénarii et la parfaite maîtrise de leur réalisation, les Voyages sonores, en service depuis deux ans, continuent à remporter un vif succès auprès du public (13 000 visiteurs en 2017).

Voyages en son 3D

L’enjeu était de narrer l’histoire de l’Abbaye aux Dames au travers de la musique (depuis sa fondation au XIe siècle) et d’immerger le public dans des narrations sonores, puissantes et « augmentées » par un son binaural (ou son 3D) restitué au casque. « Le son 3D impacte fortement l’imaginaire en révélant l’invisible », rappelle Cécile Cros, cofondatrice avec Laurence Bagot de l’agence multimédia Narrative. « Le patrimoine devient alors le décor d’un récit mêlant émotions et connaissances. »

Dans les deux voyages sonores proposés à Saintes, Le Voyage initiatique et Le Voyage héroïque, la musique est la narratrice inspirée de l’histoire, faisant revivre, pour le premier parcours, les temps forts et les hôtes célèbres du lieu (abbesses, compositeurs, personnages historiques…) ; en prenant la forme, pour le second voyage plutôt dédié au jeune public, d’une quête sonore qui fait « parler » les murs et réveiller les fantômes de l’Abbaye.

Pour que l’effet d’immersion soit optimal, tous les tournages ont été réalisés in-situ, et les comédiens ont été enregistrés dans les salles mêmes où les visiteurs sont susceptibles de se trouver. Enregistrées également sur place, toutes les musiques scandent les deux parcours, ainsi que la plupart des bruitages qui renseignent sur les époques traversées. Seuls ont été réalisés en postproduction des effets sonores impossibles à reproduire comme des bombardements par exemple (pendant la Seconde Guerre mondiale).

Pour restituer la qualité et la grande diversité acoustique de l’Abbaye (avec ses salles voûtées, sa nef), les designers sonores Bergame Periaux et Léa Chevrier ont procédé à un enregistrement binaural non traqué au moyen d’une tête artificielle Neumann, accompagné de prises à la perche. « Nous avons choisi de travailler sur deux espaces distincts », explique Léa Chevrier, ingénieur du son sur Le Voyage initiatique. « Les prises binaurales externalisent le son tandis que les prises traditionnelles l’intériorisent dans le casque. »

L’option Head Tracking, qui suit en permanence la direction de la tête via la centrale inertielle du casque et recalcule le spectre sonore environnant, ne se justifiait pas pour ces parcours de découverte dont l’enjeu était d’obtenir un effet immersif puissant plutôt qu’un rendu sonore précis : chaque parcours, comprenant treize stations d’écoute musicales (pour environ deux minutes d’écoute chacune), étant conçu de sorte à ce que la direction de la tête du visiteur soit toujours connue.

Les deux parcours sonores se déclenchent de manière automatique grâce à une quarantaine de balises Bluetooth (iBeacons) disséminées à l’intérieur et à l’extérieur du monument. « Le public est invité par la voix du narrateur à se déplacer de station en station. Mais les parcours, minutés de manière identique, réservent une grande liberté dans la découverte de cette visite séquentielle », remarque Jean de la Roche, de Modulo Digital.

Pour expérimenter les parcours dans les meilleures conditions d’écoute immersive, Modulo Digital, qui a également géré toute la partie technique, a opté pour un casque haute définition Audio-Teknika ATH MSR 7 fermé, relié à un guide multimédia Meder Commtech : « Tout le contenu est embarqué sur le guide. Les visiteurs partagent ainsi une expérience sonore de qualité identique, poursuit Jean de la Roche. La solution de l’application, qui demande à être téléchargée sur le matériel de l’utilisateur, n’a pas été retenue pour cette raison. »

Si l’immersion sonore a démontré toute sa pertinence à l’Abbaye aux Dames et est appelée à conquérir d’autres sites et d’autres publics, le dispositif de médiation devrait évoluer. Modulo Digital travaille ainsi à une nouvelle génération de casque qui fera l’économie du guide tenu à la main. Autonome et doté d’une ergonomie adaptée au web sonore (ou à d’autres types d’immersion), le casque sera cette fois-ci accompagné d’un son binaural traqué (ce qui autorisera des parcours interactifs) et d’une localisation plus fine de la personne en cartographie simultanée ou Slam (simultanuous localisation and mapping).

Forte du succès des Voyages sonores à l’Abbaye aux Dames, Narrative commence, quant à elle, à déployer, pour d’autres lieux et narrations, ce principe de déambulation immersive en son 3D. C’est ce scénario de visite qu’a choisi, pour sa part, le château de Vaux-le-Vicomte (ouverture au printemps 2019).

Un Manège à trois temps

L’Abbaye aux Dames étend encore sa vocation musicale en se dotant d’un outil original de sensibilisation à la musique, le Carrousel musical. Ouvert au printemps 2018, celui-ci emprunte la forme d’un manège forain et invite à une approche sensorielle, dynamique et ludique de la musique.

Sous son « chapiteau » aux facettes miroitantes, dix-sept instruments virtuels, accessibles dans une structure en osier évoquant le corps d’un basilic géant (créature mythique du bestiaire roman), sont à découvrir et expérimenter en solo ou à plusieurs le temps de trois tours de manège. Certains s’inspirent d’instruments « classiques » comme le piano, la flûte ou les percussions, d’autres sont plus inattendus et invitent à tirer sur des cordes (vocales) pour déclencher des voix, actionner des manettes pour jouer d’un accordéon ou déplacer ses mains au-dessus d’un Theramin…

Sur cet « instrumentarium » numérique, tournant et sonore, chacun peut improviser et ressentir, quel que soit le niveau de sa pratique, le plaisir du musicien. Guidé par un « chef d’orchestre », le tour de manège s’achève sur l’écoute d’une partition musicale issue des notes et des sons émis par tous les participants (une vingtaine peuvent chevaucher le corps du basilic).

Imaginée par AG Studio avec Modulo Digital et l’équipe de l’Abbaye, cette expérience musicale a nécessité la création, par le studio de conception sonore et multimédia Blue Yeti (Royan), d’une lutherie spéciale : les instruments disposant tous d’une interface gestuelle spécifique et incluant des périphériques Midi (claviers et pads), des capteurs (rotatifs, de contact, piézo-électriques, magnétiques…) ou des interfaces leapmotion. Les instruments du basilic reconfigurent également leur timbre ou leur volume sonore en fonction de la composition choisie lors du tour de manège.

Pour que la restitution finale soit en effet harmonieuse, trois compositions sur mesure (baroque, électro et jazz) ont été écrites pour servir de trame harmonique aux partitions des joueurs : « Toutes les notes produites sur les instruments appartiennent à des gammes prédéfinies et harmonisées entre elles », précise le co-fondateur de Blue Yeti, Jean-Michel Couturier, qui signe les compositions avec Jean-Michael Celerier, Gregory Cosenza, Anne Morata et Catherine Contour. « Le clavier du piano ne propose ainsi que des touches blanches. Pas de risque de faire de fausses notes : le Carrousel ne prend en compte que l’expressivité du jeu. »

Pour mettre au point cette délicate orchestration, Blue Yeti a recouru entre autre à Ossia Score, un logiciel open source co-développé avec LaBRI/Scrime de l’Université de Bordeaux. « Score interprète les sons et les notes produites par les instruments virtuels (issus pour la plupart de la base de données Kontakt de Native Instruments) en fonction des données issues du programme sous Max/MSP gérant les capteurs », poursuit Jean-Michel Couturier.

« Dans le Carrousel, Score est également utilisé comme un véritable séquenceur audio, avec le développement de nouvelles fonctionnalités pour la lecture de fichiers audio, la prise en charge des plugs-in VST des instruments virtuels, la gestion Midi, le mixage du son et la gestion de cartes audionumériques professionnelles. »

Cette partition collective est diffusée par une couronne de huit haut-parleurs amplifiés (et un caisson de basse) situés en périphérie du Carrousel, chaque musicien disposant d’un retour direct du son qu’il produit via un haut-parleur placé dans l’instrument. Conçu également comme la partition d’un spectacle global, le manège (en liaison wi-fi et HF entre le plateau tournant et le dôme) abrite par ailleurs une création lumière de Christophe Renaud, laquelle se module en fonction des changements de gamme de la composition musicale (via six lyres asservies et projecteurs PAR).

Les instruments, quant à eux, sont soulignés par des rubans de pixels led RGB contrôlés en Artnet. Parachevant la magie du manège, un praxinoscope motorisé installé sous le dôme, dont l’effet est doublé par un miroir, livre, lors du final, une animation dont la vitesse de rotation (et son éclairage) est en lien avec la musique.

Cette machinerie complexe (mise en œuvre par RC Audiovisuel) garde toutefois l’esprit forain : le Carrousel musical créé et assemblé par Métalobil peut être potentiellement démonté (surtout le corps du basilic) et installé ailleurs. « Nous pouvons imaginer qu’il fasse l’objet d’un parcours d’auteur. Un musicien célèbre pourrait ainsi se l’approprier et donner sa vision », propose François Guiguet, cofondateur de AG Studio.

Concerts spatialisés à l’Abbatiale

Proposés en même temps que les Voyages sonores, les Concerts spatialisés permettent aux visiteurs toujours équipés d’un casque Audio-Technika de réécouter, in-situ, les plus grands concerts du festival. Là encore, la spatialisation du son participe à l’effet d’immersion.

Les enregistrements (un ou deux par an depuis 2016) se font en binaural, mais aussi en multicanal. Ils recourent tous à une tête binaurale et parfois sont complétés par des micros (un arbre Decca à cinq micros par exemple) : « Trois micros sont omnidirectionnels et les deux autres sont placés près des instruments afin de récupérer des sons de proximité », précise Léa Chevrier qui est intervenue entre autre sur Les Vêpres de Monteverdi. « Au mixage, les sons sont binauralisés pour recréer un 5.1 dans le casque. Ce que nous recherchons, dans ces Concerts spatialisés, c’est plutôt la sensation d’immersion que la précision de la spatialisation. »

Cabinets musicaux et Musicothèque, les futures partitions

Pour compléter le projet musical de l’Abbaye aux Dames, ont été prévus des Cabinets musicaux ainsi qu’une Musicothèque. À l’étude depuis trois ans par AG Studio (pour une ouverture en 2020), les Cabinets musicaux seront thématiques et mettront en avant l’interprétation musicale en s’appuyant sur de nombreux audiovisuels et interactifs. La Musicothèque (à l’horizon 2022), quant à elle, valorisera le patrimoine musical et permettra de consulter les archives de la Cité musicale sur place (dans des lieux d’écoute individuels) mais aussi en ligne.

Depuis les années 1970, la Cité, qui réalise des captations audio et vidéo à chaque édition de son festival, dispose en effet d’un fonds riche de quelque 300 documents sonores (déposés entre autre à l’INA) dont des pièces rares comme les enregistrements du chef d’orchestre Philippe Herreweghe, l’un des fondateurs du festival.

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #14, p.18-20. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.