Citéco ou l’économie abordée par le patrimoine

La Cité de l’Économie et de la Monnaie à Paris est unique en son genre. En s’implantant dans l’ancienne succursale de la Banque de France, elle initie à l’économie tout en valorisant le patrimoine...
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Le sujet est ardu, les experts souvent incompréhensibles. Expliquer le monde de la finance et de l’économie aux Français relèverait, dit-on, de la grande gageure. C’est pourtant le pari de la Cité de l’Économie et de la Monnaie (Citéco), première du genre en Europe, qui s’est installée dans l’ancienne succursale de la Banque de France, anciennement Hôtel Gaillard (Paris).

À l’étude depuis 2010 (date du concours d’architecture), l’institution pilotée par la Banque de France a vu son ouverture repoussée à maintes reprises. Aléas dans la conduite du chantier de rénovation du monument historique (découverte d’amiante et de plomb, inondation), explosion du budget, démission de l’équipe de maître d’œuvre et du scénographe François Confino… Au début de l’été 2019, Citéco ouvre enfin ses portes et offre une approche de l’économie qui, tout en restant sérieuse, s’est « hybridée » avec le riche passé du lieu.

 

Muséo et patrimoine, la fusion

Avec son imposante salle des guichets et sa mythique salle des coffres qui entreposait toutes les réserves en or de la France (déménagées depuis dans un lieu tenu secret), Citéco, restaurée à la feuille d’or et jusqu’à la moindre boiserie, se parcourt du sous-sol aux étages grand-siècle sans économiser les ambiances d’époque ni la surface d’exposition (2 500 mètres carrés pour l’exposition permanente). Cette plongée patrimoniale – et inattendue – dans une banque au début du XXe siècle sert à « faire passer » le propos muséal.

« Le projet a beaucoup évolué en dix ans », rappelle la scénographe Véronique Rozen, qui a repris en 2017 la maîtrise d’œuvre scénographique et l’exécution au sein de l’agence Explosition. « Il a connu de nombreuses adaptations et les idées du départ ont dû “s’assagir”. Mais nous avons toujours fait en sorte que la scénographie s’inscrive de manière contemporaine dans ce patrimoine exceptionnel sans le perturber. »

Retenues par la maîtrise d’ouvrage, les six séquences du parcours scénographique (Échanges, Acteurs, Marchés, Instabilités, Régulations, Trésors) s’appuient donc sur ce passé et cette architecture typique du style néo-Renaissance. La salle des coffres par exemple, emblématique de la fonction bancaire, a conservé presque intactes toutes ses armoires fortes, mais certaines aux portes dégondées ont été converties en vitrines (pour présenter des collections de pièces et billets anciens…) ou transformées en écrans Pepper’s ghost pour diffuser des extraits de films (The Bank de Chaplin). Dans les isoloirs correspondants, des objets de collection, une manip ou une diffusion sonore (L’argent en chansons) rappellent la fonction du lieu (conserver son argent) et la scéno en profite pour dérouler l’histoire de la monnaie, dévoiler les techniques d’impression des billets de banque…

Gardée également presque inchangée, la manière spectaculaire d’accéder à la salle des coffres via un pont mobile de trois tonnes. Si celui-ci ne fonctionne plus, il donne encore à voir sa machinerie ainsi que le double mur d’enceinte et les douves remplies d’eau (pour des raisons de sécurité) qui ceinturent la salle. « C’est l’équivalent d’une machinerie théâtrale », remarque Michel Helson (Culturetech) qui s’est chargé, dans l’équipe de maîtrise d’œuvre, de l’éclairage et de l’audiovisuel.

De même, la scénographie a cherché à rappeler l’esprit du lieu dans la grande salle des guichets (anciennement hall Defrasse) coiffée de sa coupole d’origine, laquelle invite aujourd’hui à s’interroger, au moyen de nombreux dispositifs interactifs et de vidéoprojections, sur les principaux marchés financiers, les instabilités (les grandes crises) et la nécessaire régulation.

À l’atmosphère plus feutrée, le bureau du directeur a été reconstitué comme à l’époque de la succursale de la Banque de France. Au-dessus du bureau, une vidéo mettant en scène un comédien rappelle quelques principes de base de la fonction bancaire (utilité, confiance…). À la lumière tout aussi tamisée, les bureaux adjacents ont été reconvertis en de confortables salles de projection ou abritent des dispositifs interactifs, les « blocs débats », livrant le point de vue d’économistes sur des sujets d’actualité sélectionnés par le visiteur (200 ans d’économie, etc.).

Pour rendre encore plus douce cette entrée en matière, toutes les salles sont éclairées « naturellement », un équilibre savant entre les contraintes patrimoniales et muséographiques : « Plus on occulte, plus cela profite à la muséo (et à ses audiovisuels) mais moins on sert le patrimoine. Nous avons filtré la lumière au maximum tout en apportant une vue extérieure », explique la scénographe.

Toutes les salles ont également conservé leurs lustres d’époque (environ 90) restaurés par Mathieu Lustrerie, mais ceux-ci ont été indexés en DMX et ArtNet afin qu’ils puissent, au besoin, participer au spectacle scénographique. Enfin, dans toutes les salles, des grands panneaux lumineux font office de cartels. Ceux de couleur bleue synthétisent les points économiques abordés, les autres sur fond brun rappellent l’historique de l’hôtel particulier et scandent la visite patrimoniale. Certains intègrent des écrans. Pour ces caissons autoéclairés sérigraphiés au laser et à l’intensité programmable (plus de 300 panneaux en tout), Michel Helson a mis au point, avec les entreprises, des procédés innovants (coulage de résine sur led, intégration d’écrans…).

 

Plus de 12 heures de contenu audiovisuel

Pour décoder les mécanismes financiers de la Bourse, expliquer les fondamentaux et saisir les concepts (échanges, interdépendances, compétitivité…), Citéco, qui s’adresse aux 15/25 ans, a choisi de faire pédagogique, interactif et ludique. « Le principe de base était de se mettre à la place du visiteur peu féru en économie, mais désireux d’en comprendre les fonctionnements », notait François Confino en préambule à l’étude.

Dans le parcours permanent, la médiation est déclinée sur le mode solo en recourant à des « isoloirs » numériques, mais surtout collectif au moyen de grandes tables tactiles (pour 4, 5 ou 9 joueurs) et de vidéoprojections immersives. La plus engageante est celle qui accueille les visiteurs et recouvre entièrement l’escalier du hall d’honneur de l’hôtel Gaillard. Conçue et produite par Muséomaniac, elle met en scène l’argent et des situations d’échange monétaire. Ce vibrant vidéomapping (qui monopolise douze vidéoprojecteurs Christie) est diffusé en alternance avec une mise en valeur architecturale plus patrimoniale.

La découverte des concepts économiques passe, quant à elle, par de nombreux serious games, jeux de rôles immersifs et jeux interactifs collectifs : la plupart de ces dispositifs multimédia, aux scénarios dûment validés par Citéco, visent à impliquer les visiteurs dans des situations de prise de décision collégiale ou bien issues de leur quotidien. Le jeu de rôle La Salle du Conseil les invite ainsi, autour d’une grande table multijoueurs, à endosser l’habit des décideurs de puissances mondiales afin de négocier des accords internationaux sur le climat sans nuire aux intérêts de leur pays (budget, production d’hydrocarbures, etc.). Le résultat des négociations s’affiche en temps réel au moyen d’une vidéoprojection à 360 °. Un peu plus loin, le cylindre des turbulescences rémémore en vidéo quelques grandes crises économiques et leurs répercussions sur le quotidien des gens.

Dans la salle dédiée aux Échanges et Besoins (correspondant à l’ancienne salle à manger), une table tactile circulaire met en scène les nombreuses et complexes étapes intervenant dans la fabrication des objets de consommation (T-shirts, lunettes de soleil…). Lesquels ne peuvent s’échanger que s’ils ont été préalablement fabriqués. Pour enfoncer le clou, dans le même espace, l’installation de l’artiste Thomas Thwaites pointe de manière humoristique la division du travail en montrant le grille-pain qu’il a tenté de fabriquer tout seul et en partant de rien.

L’installation Made in partout rend compte elle aussi de la complexité des échanges en listant tous les pays intervenant dans la fabrication de cinq objets placés sur le tapis roulant d’un scanner inspiré de celui des aéroports. Seul le dispositif interactif à la sortie de la salle des coffres, le « Photobifton » qui tire le portrait du visiteur et l’imprime sur un billet de banque de 20 euros, n’a pas de réelle visée didactique…

 

Une kyrielle de prestataires muséo

Pour rendre accessibles ces sujets d’économie, Citéco a fait appel à de nombreuses sociétés de production audiovisuelle et multimédia (plus de 25 entreprises pour la seule partie muséo, presque autant pour le chantier de rénovation) comme Grand Angle Productions, Bachibouzouk, Opixido (pour les multimédia et interactifs), Fleur de Papier (jeux interactifs), Drôle de Trame (pour le site web)…

Pour leur part, Les Films d’Ici (Olivier Brunet) ont produit une quinzaine d’audiovisuels « documentaires » (une soixantaine de vidéos ont été produites au total) alternant fiction et animation comme Passage à l’euro, Quand la monnaie ne vaut plus rien… Certains sont des montages de films (Scènes de crises, l’Argent fait son cinéma), d’autres introduisent des narrateurs filmés sur fond vert afin de mieux incarner le sujet, d’autres enfin ont réussi à faire des clins d’œil à Monty Python comme ce film qui rappelle la querelle opposant John Mayard Keynes et Milton Friedman, deux éminents économistes du XXe siècle.

De même que le projet scénographique a dû s’adapter aux aléas du chantier et aux desiderata des différents commanditaires qui se sont succédé, le projet technique, dans les tuyaux depuis neuf ans chez ETC Audiovisuel, a vu lui aussi se modifier certaines de ses préconisations : « Nous sommes passés de vidéoprojecteurs à lampe à des projecteurs laser Christie (des WU630-GS et DHD 13 000) », raconte Laurent Segelle, chargé d’affaires chez ETC Audiovisuel.

« Nous en avons profité aussi pour standardiser le parc des vidéoprojecteurs et des moniteurs (surtout des Philips) afin de faciliter la maintenance. Nous n’avons pas plus de deux modèles différents dans la même gamme. L’installation phare (le vidéo mapping monumental sur l’escalier) est en fibre optique et reliée à une régie déportée (avec l’automate Medialon) ainsi que le jeu collectif du grand hall Defrasse. Les dispositifs interactifs sont gérés individuellement à partir de leur carte Flash. »

Quant à l’important retard du chantier ? Le prestataire, qui n’est pas en première ligne contrairement à la scéno et à l’agenceur (ici Matières à Penser), a appris à gérer cette donne : « Depuis quelques années, les retards de chantier sont devenus réguliers. Ils font désormais partie de notre gestion du chantier… ».

 

 

Cité de l’Économie et de la Monnaie

  • Commanditaire : Banque de France
  • Muséographie : Xavier Limagne
  • Maîtrise d’œuvre : Atelier Lion-Eric Pallot – Agence Confino.
  • Conception de la scénographie : Atelier Confino
  • Suivi de fabrication et chantier : Agence Explosition
  • Éclairage et audiovisuel : Michel Helson (Culturetech)
  • Multimedia et audiovisuel : Grand Angle Productions, Les Films d’Ici, Bachibouzouk, Drôle de Trame, Opixido, Fleur de Papier…
  • Installation audiovisuelle : ETC Audiovisuel
  • Audioguide : Tomwelt
  • Éclairage : Initium
  • Mobilier : Matières à Penser

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #16, p.12-14. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.