Parcours de visite au musée : 
sortir des sentiers battus

Le Sitem 2018, qui se déroulait en janvier dernier à la Cité de la Mode et du Design, a mis en avant la diversité des scénographies numériques. Entre mobilité et immersion.
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L’offre en parcours de visite, dont le Sitem – Salon des équipements innovants pour les lieux culturels et de tourisme – se
fait l’écho depuis plusieurs années déjà, explose, qu’elle soit portée par des sociétés installées ou des jeunes start-up de plus en plus nombreuses à se presser sur ce marché. Cette offre tire parti de la généralisation du smartphone qui impacte jusqu’à la médiation muséale. Pour autant, les limites de cette médiation mobile (entre autres son téléchargement) imposent à tous de proposer des solutions alternatives. Celles-ci doivent
 se montrer attractives pour le musée ou les gestionnaires de sites culturels, et singulières pour (re)conquérir le public des 15/35 ans. Une rénovation fournit souvent l’occasion pour le musée de « rajeunir » son offre de médiation numérique ou d’intégrer de nouveaux dispositifs à base ou non de réalité augmentée afin d’offrir au public une continuité d’expériences immersives et interactives. Cette offre est suffisamment de qualité aujourd’hui pour apparaître comme une spécificité française :

« Le marché français est difficile à pénétrer pour les sociétés étrangères, mais nombreuses sont celles qui aimeraient travailler ici, car 
la France se montre très en avance au niveau des prestations multimédia. On entend parler anglais au Sitem alors que ce n’était pas le cas il y a quelques années », remarque Vincent Roirand, président de Mazédia.

 

Applications sans téléchargement, la nouvelle médiation ?

Les contraintes techniques liées au téléchargement sur smartphone des applications de visite obligent le visiteur à se connecter à 
un réseau wi-fi , trouver l’application sur les stores, l’installer sur son mobile (etc.). Pour 
y remédier, les musées proposent parfois in situ des tablettes dont la location a l’avantage de rentabiliser l’investissement. Certaines sociétés avancent également des alternatives comme l’application embarquée, l’objet connecté ou le chatbot. Autant de disposi
tifs qui facilitent l’accès à une information géolocalisée. « Pour des usages éphémères, le téléchargement n’est pas approprié comme il peut l’être dans un contexte pérenne, affirme Frédéric Bonin, co-fondateur de Ürbik (Lille), la spin off d’Axone, agence de design produit et design urbain. Dans l’espace public extérieur, la rapidité du “téléchargement” des applications est même primordiale. »

Mis sur le marché par la start-up en 2016, son point d’information connecté, sous la forme d’un grand totem à trois faces, permet à l’utilisateur de se connecter en temps réel au réseau wi-fi local et d’accéder, via le navigateur
web de son mobile, à un portail d’informations géolocalisées avant de sélectionner un contenu en particulier. Quel que soit le forfait téléphonique, ces informations « poussées » sur le mobile (textes, images et audio) sont conservées, même si l’utilisateur n’est plus connecté à la borne. Des vidéos peuvent être streamées dans un périmètre d’une cinquantaine de mètres autour de la borne. Structure autonome grâce à ses trois panneaux photo- voltaïques, la borne, qui produit sa propre énergie en plus d’abriter un émetteur wi-fi, est communicante via un serveur local. Un back-office permet ainsi au client (office de tourisme, mairie d’arrondissement…) de procéder automatiquement à des mises à jour. Onze points d’information connectés ont déjà été installés à Paris à l’occasion d’événements comme l’Euro 2016 dans des lieux touristiques (Panthéon, place de la Bastille…), ou lors d’événementiels (zoo de Vincennes). 20 000 utilisateurs uniques par mois (pour l’essentiel des touristes étrangers) ont pu expérimenter ce mobilier typique de la smartcity. Un projet d’installation sur des sites Unesco concernerait cette fois-ci des implantations pérennes. « Notre pari de mixer des dispositifs physiques avec une solution numérique fait recette et rencontre véritablement son public », note Frédéric Bonin.

Pour Akken, une jeune start-up nantaise spécialisée dans la création de parcours sonores pour les visiteurs de sites touristiques et culturels (Objets extraordinaires avec la compagnie Digital Samova pour le château des Ducs de Bretagne), l’expérience immersive doit se montrer encore moins intrusive : « Elle est un révélateur de l’invisible d’un territoire et de son histoire, remarque la fondatrice Laurence Giuliani. Elle doit donc se passer d’interface visuelle faisant écran avec le réel comme le smartphone ou la tablette. Et il n’y a plus de téléchargement. » Créé pour répondre à la demande des offices de tourisme et des espaces naturels, le Sonopluie ou parapluie géolocalisé embarque, dans sa poignée, toute la technologie nécessaire pour une balade sonore : carte mère, player son, GPS, wi-fi, plus une batterie miniaturisée d’une autonomie d’une journée. Le Sonopluie, qui a remporté le Startup Contest organisé lors du Sitem, est déjà opérationnel à Créon (Aquitaine) et à Cauterets (Pyrénées). Akken, qui se revendique de la génération « post-application », réfléchit à d’autres objets connectés indépendants d’Internet, comme ce fauteuil pour musée, qui déclenche une écoute aléatoire lorsque les mains se déplacent sur les accoudoirs.

Jeune start-up également, Ask Mona préfère recourir au principe du chatbot – ou robot conversationnel – comme plate-forme de médiation culturelle in situ ou avant la visite. Directement accessible sur le smartphone à partir de Messenger, celui-ci peut efficacement documenter une œuvre, un artiste ou un lieu. Mona, la guide virtuelle, se fait alors un plaisir de répondre, de manière personnalisée, aux requêtes posées par l’utilisateur et de leur faire partager un contenu vidéo, sonore ou textuel. La Villa Savoye et la Cité de la Céramique à Sèvres (seulement en prévisite), et bientôt le Petit Palais, possèdent leur propre chatbot. Très réactive, la plate-forme a l’avantage d’amener au musée un nouveau public, les 15/35 ans.

 

Augmenter sans dispositif apparent ni médiation

Parmi les start-up digitales qui se pressaient au Sitem, Buzzing Light (Paris) se démarque avec des dispositifs « augmentés » à l’interactivité très discrète. Pour le Musée des Arts de la Marionnette (Lyon), dont la scénographie immersive est signée par le Muséophone et Inclusit Design, le visiteur, à défaut de manipuler les marionnettes de la collection, appelle une lyre motorisée installée au plafond. Celle-ci vient éclairer une marionnette tandis que son cartel image est projeté sur
le mur adjacent. L’interface de cette poursuite-lumière est une simple surface tactile sérigraphiée (en fait, un cadre multitouch sans écran) sur laquelle le visiteur pose son doigt. « Le muséographe et le scénographe souhaitaient une technologie sans écran apparent ni outils numériques visibles », précise Guillaume Jacquemin.

Pour le Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal, qui vient également de rénover son parcours, Buzzing Light, qui conçoit et réalise ses dispositifs, affine encore plus le dispositif de projection. Lorsque le visiteur s’approche d’une œuvre emblématique comme L’Embarquement de Sainte Paule à Ostie par Claude Gellée, dit Le Lorrain, il déclenche un micro vidéo-mapping de deux minutes appliqué directement sur le tableau, tandis qu’un commentaire audio est diffusé par douche sonore. Jeux de lumière, lignes de construction, surlignages et inclusions d’images participent alors dynamiquement de l’explication détaillée de la composition. Pour les malentendants et les visiteurs non francophones, un sous-titrage permet de suivre
 le commentaire. Pour rassurer les conservateurs du musée, plusieurs mesures ont été effectuées montrant que la lumière à Led du vidéoprojecteur altère moins l’œuvre que l’éclairage permanent de l’exposition. Comme outils de cette interactivité, on y trouve Arduino, Blink et After Effects.

Plus spectaculaire, mais faisant toujours appel à une interactivité intuitive, le dispositif situé dans l’atrium du Palais des Beaux-Arts de Lille nouvellement rénové recourt à trois écrans 4K de 86 pouces. À partir d’un lutrin intégrant un iPad, les visiteurs sont invités à explorer six œuvres célèbres de la collection, numérisées en gigapixels par le photographe Gilles Alonso. La découverte, qui s’opère par zooms successifs, peut être contemplative ou s’accompagner de notices explicatives. « Les temps moyens de la manipulation s’élèvent à
6 minutes par visiteur sans qu’il y ait besoin d’une intervention, se félicite Guillaume Jacquemin qui a co-conçu le dispositif avec Florence Raymond et Amandine Jeanson (Palais des Beaux-Arts de Lille). Pour un coût très accessible, le dispositif peut accueillir une nouvelle œuvre en gigapixels dans le cadre d’une exposition temporaire. »

 

Offre en hausse des dispositifs augmentés

Qu’elle émane d’acteurs qui se sont imposés pour leurs capacités à gérer des chantiers numériques complexes (Mazedia, Mosquito, 44 Screens, MG Design, Cent Millions de Pixels…), de start-up (de plus en plus nombreuses) ou de nouveaux venus sur le secteur, l’offre en dispositifs de médiation intégrant ou non
 de la réalité augmentée s’est diversifiée et aborde le marché avec des solutions légères, modulables, pouvant mettre en valeur de manière ponctuelle les points forts du parcours de visite, et surtout attirer un public jeune.

L’agence digitale Mosquito rappelle ainsi sa série des « Period Rooms » augmentées, élaborée pour le Musée des Arts Décoratifs (MAD) : chaque installation faisant appel à un mode d’interaction différent. Dernier né en cours d’installation (treize à ce jour), le dispositif
 en réalité augmentée de la Salle des Horloges permet de faire sonner les pendules lorsque l’utilisateur vise leur cadran avec une tablette mise à disposition dans la salle. Pour la salle Louis Majorelle, qui reconstitue une chambre à coucher art-déco, le scénario muséal retenu, baptisé Pimp my period room, consiste à parachever l’immersion en projetant sur deux murs adjacents un vidéomapping 3D d’un papier peint de l’époque (appartenant à la collection du MAD), lequel est choisi à partir d’un pupitre à écran tactile. Un parcours de visite se construit ainsi à coups d’expérimentations qui font sens et surprennent le visiteur. Ces applications sur mesure sont développées avec la technologie Tango « seule à ce jour à pouvoir apporter une précision au centimètre près », selon Emmanuel Rouillier, fondateur de Mosquito.

La réalité augmentée fait également partie de l’offre de la start-up MuseoPic (Lyon). Pour
 le Musée gallo-romain de Fourvière, l’application sur smartphone propose de déchiffrer des inscriptions sur des stèles en superposant au latin la traduction française. Pour le Musée de l’Imprimerie et de la Communication graphique à Lyon, ce sont des livres anciens sous vitrine qui peuvent virtuellement se feuilleter. La start-up collectionne ces modules de réalité augmentée (à base de reconnaissance de formes 2D par la caméra du smartphone) dont le principe peut s’appliquer à d’autres sites aux problématiques similaires. Pour les mettre au point, elle n’hésite pas à organiser des résidences in situ de deux semaines afin de prototyper le dispositif au plus près des besoins de l’équipe de médiation.

Pour 44 Screens, à l’origine de nombreuses applications remarquées (au musée de la Mer des Iles de la Madeleine, musée Girodet à Montargis, musée des Vallées cévenoles à Saint-Jean-du-Gard…), les solutions en réalité augmentée commencent à sortir du prototype, même si l’expérimentation reste recherchée. « Ces dispositifs, dont les coûts
 de production ont baissé, réinventent l’audio-guide, remarque Lionel Guillaume. Même si celui-ci reste très prisé, les musées souhaitent aujourd’hui se différencier en offrant à leurs visiteurs des expériences complémentaires. » Pas de surprise si des fabricants de systèmes d’aides à la visite et producteurs de contenus comme Orpheo se positionnent à leur tour sur le marché des applications mobiles de visite. Au compte de sa filiale MyOrpheo, la création de nombreuses applications sous iOS et Android comportant parfois des scènes en 3D temps réel à 360 ° comme celle des jardins du château de Lunéville. « Cette évolution est logique, remarque Antoine Eisenstein, DG d’Orpheo. Nous mettons à profit notre savoir-faire en storytelling et présentation du contenu en l’adaptant à la création d’environnements 3D. Nous accompagnons aussi nos clients sur la mise en place des équipements audiovisuels, car la synchronisation avec nos appareils d’aide à la visite est devenue essentielle. »

 

Grands projets et autres commémorations


L’année 2018, qui fêtera le centenaire de l’armistice de 1918, n’échappe pas aux commémorations qui affectionnent les scénographies numériques de grande ampleur. Parmi les événements attendus, l’ouverture, le 25 avril, du Centre australien Sir John Monash, érigé près du mémorial national australien de Villers-Bretonneux. Celui-ci célèbre la mémoire des Australiens tombés sur le front occidental lors de la Première Guerre mondiale. Libre d’accès et entièrement automatisé, le Centre déploie, sur moins de 1 000 mètres carrés, un parcours scénographique riche en expériences immersives et en murs d’écrans (de six ou de huit) jusqu’à cette installation de 50 écrans (mur et sol), qui donne un aperçu interactif de la cartographie des champs de bataille. Au cœur de ce lieu de mémoire,
 une salle immersive de sept mètres de haut, aux murs recouverts d’écrans sans bord, fait revivre la bataille de la Somme avec à la clé des machines à fumée, stroboscopes et effets de lumière synchronisés avec le show. Pour filmer cette scène de guerre de dix minutes à 360 °, les scénographes Convergence Associates (Melbourne) ont fait appel à la société australienne de production multimedia WildBear Entertainment.

Sous la supervision de Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux), celle-ci est allée en Nouvelle-Zélande reconstituer le fameux champ de bataille de Villers-Bretonneux. Pas d’audioguide pour ce Centre libre d’accès, mais une application multimédia iOS et Android à télécharger à l’accueil (mise au point par les Australiens
 de Transpire), qui « augmente » les contenus diffusés et les rend accessibles dans la langue de son choix (récits des soldats australiens…). Géolocalisée (par balises Bluetooth), l’application s’étend aussi au cimetière militaire et à l’Australian National Memorial. Seul Français dans la maîtrise d’œuvre, le groupement coordonné par Orpheo (Videmus, Atelier du Son et de l’Image, Sidev) a été chargé de l’installation et de la configuration de tous les audiovisuels et dispositifs multimédia synchronisés avec le smartphone des visiteurs.

Gros chantier d’intégration audiovisuelle 2017 (de l’ordre
 de 2,5 millions d’euros) pour Orpheo qui intervient comme intégrateur audiovisuel, le Centre Sir John Monash recourt à quelque 450 écrans 4K (190 Nec 46 pouces pour la seule salle immersive), des vidéoprojecteurs Barco (six PGWU 6 000 et deux F35 7 000 lumens) et de nombreuses enceintes Meyer Sound. Tout le site est géré par 38 serveurs Proquad Watchout (16 écrans HD par serveur) et 22 petits serveurs Watchout, avec deux Médialon Manager (un principal et un de secours) pour le show control. Autre acteur mobilisé dans des scénographies virtuelles et commémoratives à forte
 charge émotive, l’entreprise Allucyne s’est investie dans la reconstitution du village de Vaux entièrement détruit lors de la bataille de Verdun. Sur un parcours géolocalisé de quatre kilomètres de long, l’application mobile en réalité augmentée, qui repose sur des reconstitutions 3D réalistes du village, livre un aperçu du quotidien des habitants avant la guerre. « Le parcours qui se découvre en boucle se fait entièrement en plein air (été comme hiver), décrit Guy Ativon, président d’Allucyne. Nous avons dû tenir compte des contraintes du lieu (marécage, présence d’un charnier, espèces protégées…). Et, en priorité, assurer la sécurité du parcours (pas d’obus à moins d’un mètre du sol). Ceci a en partie impacté la mise en œuvre de l’application et l’expérience utilisateur. » Si l’application (Android et iOs) se télécharge sur le smartphone du visiteur, l’exploitant du site envisage de mettre en place un prêt de matériel adapté. Deux modes de visite caractérisent l’application géolocalisée (GPS ou boussole) : une version « expert » comportant, outre les reconstitutions 3D, plusieurs thématiques (sur la biodiversité, etc.) et une version « grand public ». Au moins 45 points d’intérêt (POI) ont été retenus sur le parcours, lesquels déclenchent un contenu 3D qui se superpose à l’environnement. L’entreprise a recouru à l’application mobile M-Cicerone qu’elle commercialise (développée sur Unity). Toute la partie 3D a été prise en charge en interne. Pour la commémoration qui aura lieu le 11 novembre prochain, de nombreuses autorités sont attendues.

Hors du cycle des commémorations, le Mémorial Alsace-Moselle à Schirmek s’est récemment fait remarquer pour son nouveau parcours de visite particulièrement dense et novateur. Mené par l’agence de scénographie Maskarade, celui-ci réunit plusieurs dispositifs interactifs existants et ceux créés pour l’espace Euphoria et le Forum. Réalisé sur la plateforme Wezit de Mazedia, le guide multimédia pour tablettes Android (téléchargeable aussi sur les stores) apporte des contenus géolocalisés spécifiques à chaque salle et synchronise tous les contenus vidéo dans la langue du visiteur. L’installation immersive et interactive la plus spectaculaire est celle conçue pour la grande salle hémisphérique du Forum, qui propose au visiteur de donner sa vision sur la construction européenne.
 Le résultat de son vote – et éventuellement
sa photo – est affiché en temps réel dans un immense vidéomapping signé par Cosmo
AV. « Nous avons intégré notre outil Live-Translate développé à l’origine pour le Puy
 du Fou dans Wezit, précise Vincent Roirand. Cette plateforme permet d’assurer un continuum d’expériences transmédia sur plusieurs dispositifs interactifs consécutifs. » Le Mémorial Alsace-Moselle correspond au plus gros projet transmedia interactif de Mazedia pour l’année 2017.

 

* Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #11, p.16-21Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.


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