Casa de les Punxes à Barcelone, une maison-musée 100 % digitale

Un siècle après sa construction, la Casa de les Punxes, totem architectural de Barcelone, est enfin ouverte au public. Mais plutôt que d’offrir une muséographie « classique », les propriétaires ont misé sur une expérience, visuelle et sonore, originale.*
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C’était l’un des derniers trésors secrets de Barcelone. Plus d’un siècle après son inauguration (1905), la Casa de les Punxes (maison des pointes) a déjà attiré 60 000 visiteurs en neuf mois. Un succès logique : depuis 40 ans, ce « totem » de l’avenue Diagonal était reconnu monument historique… tout en restant inaccessible. De quoi susciter une grande attente du public !

Pensé par l’architecte catalan Josep Puig i Cadafalch, la « Casa Terrades » (son nom d’origine) est singulière, mêlant le modernisme catalan de la fin XIXe et l’esprit « wagnérien » des châteaux allemands. « À l’instar des châteaux de Disney, on peut y voir l’inspiration du château de Neuschwanstein, dans les Alpes bavaroises », souligne Eudald Tomasa, spécialiste catalan de la muséographie.

L’homme connaît bien l’édifice : c’est son entreprise, Transversal, qui a été chargée d’y concevoir une stratégie touristique et sa muséographie. Un projet à 3 millions d’euros, voulu par le nouveau propriétaire, le groupe immobilier Texna, pour redynamiser le site. « L’idée était de proposer une expérience immersive, moderne, amusante, et agréable. L’expertise du groupe Transversal correspondait à ces objectifs », détaille Montse Giménez, directrice marketing de la Casa.

 

Repartir de zéro

Basée en Catalogne, Transversal est en effet reconnue pour ses idées innovantes en matière d’expérience touristique (lire plus loin) : « Quand on nous sollicite, c’est pour obtenir quelque chose de différent. Générer une expérience singulière et attractive », détaille Montse Giménez, directrice marketing de la Casa.

Il était donc exclu de créer un musée classique. « La muséographie conventionnelle, présenter des vitrines, une scénographie de meubles totalement artificielle, ce n’est pas notre façon de voir les choses. Nous savons par expérience que cela ne génère pas une attractivité suffisante pour attirer le public. » Car, à Barcelone, la concurrence touristique est très importante. « Pour exister, un nouveau projet doit se différencier. »

Pour une fois, il a fallu partir d’une page blanche : « Contrairement à ses façades ostentatoires, le bâtiment était très sobre à l’intérieur. Une simple visite de l’espace n’aurait eu aucun sens : il n’y avait pas grand chose à montrer ! Des salles blanches, vides, quelques colonnes… », raconte Eudald Tomasa. Un défi séduisant pour les équipes de Transversal. « De ce problème, on a fait une vertu. C’était l’occasion de créer un espace totalement nouveau, rompre avec les modèles conventionnels de visites des maisons-musées. »

Quelle histoire raconter ? « Nous avons proposé de faire quelque chose, pas tant sur le bâtiment lui-même, mais sur un patrimoine immatériel. Nous nous sommes appuyés sur la grande mosaïque de Sant Jordi (Saint-George) de la façade », poursuit le directeur de Transversal. Car la légende de Sant Jordi est une tradition culturelle importante en Catalogne. « Aucun lieu n’était dédié à ce sujet. On y a vu une opportunité. »

 

Une visite automatisée

Transversal a donc imaginé « une expérience sensorielle » basée sur le son et les projections d’images. Coiffé d’un audioguide, le spectateur déambule dans un parcours réparti sur 500 mètres carrés au premier étage. Ce qui interpelle, c’est que la visite est entièrement automatisée : pilotées par des capteurs infrarouges, les portes s’ouvrent et se referment, invitant les spectateurs à changer de pièce pour découvrir la suite de l’histoire. L’éclairage se module seul au fil du parcours et des projections.

« Ce système automatique renforce la singularité de l’expérience, estime Montsé Giménez. Il contribue à maintenir la curiosité, le mystère. » « C’est aussi un moyen de canaliser les flux de visiteurs, complète Eudald Tomasa. Les salles sont petites, il était donc impossible d’accueillir plus d’une dizaine de personnes. Un parcours automatisé permet d’intensifier au maximum le flux des visites. »

Pas de temps perdu : avant le départ, les petits groupes sont formés, face à un compte à rebours. Et pour patienter, le public peut jouer avec une projection interactive au sol : un bassin en réalité augmentée, où poissons et feuilles mortes réagissent avec le public, grâce à la détection des ombres par infrarouge. Dès que le temps est écoulé, les portes s’ouvrent, et le parcours démarre. « On gère ainsi les groupes de personnes comme des petits “wagons” qui avancent et vivent progressivement l’expérience intégrale. L’automatisme permet que des visites parallèles se déroulent dans les différentes salles », confie Eudald Tomasa.

 

Plusieurs expériences en une

Dans les pièces, dix projecteurs Epson (EB – 66370, EB – 66770WU, EB – 570…) diffusent un film original tourné pour l’occasion, et adapté au jeu d’écrans. Car chaque pièce offre une expérience visuelle différente : image qui déborde sur le sol, cachée dans les murs… La dernière pièce est la plus impressionnante : des miroirs multiplient l’image à l’infini, formant une immense sphère.

« Cela donne une autre perspective ! On a imaginé des techniques suggestives pour susciter l’attention du public, le surprendre. On ne parle pas seulement d’une projection vidéo, mais d’entrer d’une certaine manière dans l’image. Ce n’est pas un simple film que l’on pourrait regarder à la maison. » Cette première étape de 40 minutes se conclut par une salle d’interprétation du mythe de Sant Jordi (diffusion de vidéos et jeux sur tables interactives).

Ensuite, le spectateur est invité à monter sur le toit. C’est le début de la seconde expérience : la découverte des six tours iconiques du bâtiment. Après la légende, place à la réalité : le toit est un véritable musée sur l’architecte et le modernisme catalan. La tour principale, sur deux étages, est ainsi dédiée au travail de Josep Puig i Cadafalch, avec panneaux et documentaires vidéo.

Les autres tours offrent des expériences plus singulières : un jeu de lumière orchestré par des projecteurs gobos sur fond de musique pour évoquer l’influence wagnérienne, une projection centrale mappée sur le plafond pour comprendre les détails architecturaux, des boîtes magiques où découvrir par le toucher les matériaux employés, une pyramide holographique pour saisir le processus de construction… « Nous voulions multiplier les sensations, susciter un effet de surprise », justifie Eudald Tomasa.

Au final, le projet offre un panorama large des technologies digitales et réussit son objectif : séduire un large public. « L’idée était de rendre la culture, l’histoire, plus accessibles, assure Montse Giménez. Les éléments visuels, les effets sonores, attirent les jeunes, mais aussi les familles, car cela touche les enfants. Les visiteurs sont surpris par le côté technologique, mais apprécient son caractère original. »

Surtout, les gestionnaires se satisfont d’un élément : le lieu touche en majorité un public local, dans une ville inondée de touristes. Et l’espace s’adapte également aux événements privés, avec la possibilité de projeter les images de son choix. « Ce nouveau concept de visite, c’est le futur, juge Eudald Tomasa. Tous nos projets vont dans cette direction. De plus en plus, ce que l’on va demander à la muséographie, c’est de générer un impact. »

 

L’Optima 6 au cœur de l’expérience

Si l’expérience est aussi immersive, c’est grâce au système d’audioguides Optima 6 de RSF. « Le principe, c’est que le lecteur vidéo incrémente un time code, et synchronise la piste sonore de l’Optima avec l’image. Le Fade in/Fade out, totalement configurable, permet de basculer avec fluidité de la musique d’ambiance vers la piste », explique Serge Fernandez, gérant de RSF.

L’intérêt : chacun entend le son dans sa langue, sans déranger son voisin. « C’est fondamental dans l’expérience, note Eudald Tomasa. Cela permet d’optimiser les ressources, car il n’y a pas besoin de créer des circuits par langue. Et en plus, cela solutionne les difficultés acoustiques entre les salles. »

Le plus : le casque Freesound de RSF ne touchant pas les oreilles, le gestionnaire évite les questions d’hygiène des coussinets. « Il y a une petite perte de son, mais cela reste correct, analyse Eudald Tomasa. Avec les audioguides qui touchent les oreilles, le public a tendance à se fatiguer, et à les retirer. Or ici l’expérience se vit presque totalement par les audioguides. Il fallait trouver un compromis pour que le public les conserve. »

 

Transversal, spécialiste de la muséographie moderne

Son nom n’est pas forcément très connu en France. Mais, depuis 25 ans, le groupe Transversal est l’un des principaux acteurs de la muséographie et de la stratégie touristique, en Catalogne. Spécialisé dans les nouvelles technologies, il multiplie les projets, en Espagne et à l’étranger : incrustation vidéo au sein du monastère de Món San Benet, au nord de Barcelone, visite automatisée du Musée Maritime et projections sur le toit de la Pedrera, à Barcelone… Actuellement, l’équipe planche sur de « très grands projets audiovisuels », en Arabie saoudite et en Argentine.

 

* Article paru pour la première fois dans Sonovision #8, p. 10-11Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.