Clémence Farrell, scénographe muséomaniaque

Muséomaniac est le nom de la société de production ouverte par Clémence Farrell qui prolonge toutes ses scénographies par de l’audiovisuel. Les scénographies immersives à riche contenu (historique ou scientifique) sont sa marque de fabrique, l’audiovisuel son matériau fétiche.
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Avec l’Historial Jeanne d’Arc qui aborde la vie de la sainte via des vidéoprojections dans un site classé, Clémence Farrell a acquis une réputation de scénographe de l’image projetée. Ce n’est pas un hasard si son agence de scénographie est installée dans les locaux mêmes de Commune Image (Saint-Ouen), une plate-forme de sociétés de production audiovisuelle et de réalité virtuelle. Celle-ci abrite également la maison de production audiovisuelle, Muséomaniac, que la scénographe a ouverte il y a deux ans.

 

Scénos cinématographiques

« Cités-Cinés de François Confino (à la Grande Halle de la Villette en 1987) a été une révélation pour moi. Quand j’ai découvert que l’on pouvait créer une exposition rien qu’avec des films, je me suis dit que c’était ce type de scénographie que je désirais faire. »

Rompue à la création de décors pour le clip, le cinéma (Jan Kounen, Cédric Klapisch…) et la publicité, familière des simulations 3D et de l’arborescence multimédia des cédéroms (jeune créateur multimédia de la Fondation Hachette avec les designers Ich&Kar en 1995), Clémence Farrell apprend d’abord à jongler avec toutes les dimensions et à maîtriser les techniques de la mise en œuvre : de la composition spatiale aux derniers trucages de cinéma.

Aussi, lorsqu’elle aborde la scénographie d’exposition, c’est tout naturellement qu’elle y intègre des projections de films, sa double casquette de scénographe-muséographe l’autorisant à intervenir très en amont sur le contenu du programme muséal et, bien sûr, sur le choix des dispositifs (immersifs, interactifs, manipulations électromécaniques, etc..).

Sur l’exposition permanente « Titanic, Retour à Cherbourg » à la Cité de la Mer à Cherbourg en 2012, elle transforme ainsi radicalement le programme initial, trop linéaire à son goût, au profit d’un scénario de visite beaucoup plus dynamique qui s’inscrit dans un condensé temporel de la traversée (30 minutes), de l’embarquement à Cherbourg jusqu’au lieu du naufrage. Tous les audiovisuels sont synchronisés à ce temps fictif.

« De tels scenarii de visite sont complexes à mettre en œuvre car ils reposent sur des contenus très denses. Mais cette complexité lors de la conception est garante de la pérennité de la scénographie et de sa bonne réception par le public. »

 

Pour l’Historial Jeanne d’Arc (en 2015), dont le riche programme réalisé par Claude Mollard prévoyait d’installer, entre autres, des faux jubés gothiques dans certaines salles de l’Archevêché à Rouen, elle propose, à l’inverse, de créer un parcours de visite sans décor, basé uniquement sur des projections audiovisuelles : « Je voulais que le lieu, dont la charge émotionnelle demeure très forte, reste beau, même quand tous les films sont éteints. »

Et pour mieux personnaliser spatialement le parcours, elle détermine avec soin la manière dont les audiovisuels seront diffusés ou projetés dans l’espace : sur tulle ou vitres, en dalle de rétroprojection, via des mappings 3D, des écrans verticaux ou des écrans panoramiques. « Cette approche permet d’optimiser les budgets de production : une intégration pertinente dans un espace fait en effet beaucoup économiser en production. »

Si l’immersion sous la forme d’une grande projection (ou triptyque ou tunnel d’images, etc.) constitue souvent la base de son projet scénographique, les dispositifs en réalité virtuelle, qui commencent à être prisés par la maîtrise d’ouvrage, font également partie des outils de la scénographe qui n’aime rien tant que d’en détourner le principe.

« Participent à l’immersion, non seulement les films, mais aussi les visiteurs qui deviennent malgré eux des acteurs dans l’espace scénographique. Leur posture avec les casques est très intéressante car ils ne contrôlent plus leur corps. La manière de les mettre en scène ouvre donc un autre champ d’expérimentation pour les scénographes. »

Pour l’appel d’offre (perdu) de l’Hôtel de la Marine, dont l’un des thèmes est la gastronomie « à la française », elle imagine ainsi un fastueux banquet virtuel auquel sont conviés des visiteurs équipés de casque. Lesquels se retrouvent propulsés au XVIIIe siècle en compagnie d’illustres invités…

Forte de cette expertise globale (spatiale et cinématographique), elle aborde l’exposition « Monaco et l’océan » pour le Musée océanographique de Monaco en ajustant, au plus près du contenu muséal, les dispositifs scénographiques, qui déclinent l’audiovisuel dans de multiples configurations : en tunnel d’images simulant en 3D une plongée dans les abysses (coréalisation Olivier Brunet, les Films d’Ici et Yannick Tholomier), en théâtres optiques (effet Pepper’s Ghost) mettant en scène Albert-Ier racontant ses campagnes océanographiques, en mur d’écrans transparents, sous la forme de table multitouch…

Sans compter les dispositifs interactifs qui utilisent aussi bien le numérique que l’électromécanique.

« L’interactivité est incontournable dans un musée des sciences, mais il faut sortir de l’écran qui est devenu l’objet le plus banal de notre époque. Pour ‘Monaco, pour la première fois’, la muséographie réunit toutes sortes de médias : films numériques, décors, objets de collection… ».

 

 

Muséomaniac, à la conquête du contenu

La demande en scénographie à base d’audiovisuels allant en augmentant, Clémence Farrell a ouvert en 2016 Muséomaniac, une structure dédiée à la production audiovisuelle, multimédia et interactive pour les expositions de la scénographe, mais aussi pour celles de ses confrères.

Muséomaniac réalise ainsi tous les films immersifs de la future Cité de l’économie et de la monnaie (Citéco). Dans ce cas particulier, la mise en scène de l’audiovisuel a déjà été déterminée par le scénographe François Confino, mais l’approche spatiale de Clémence Farrell participe à la mise en abyme recherchée, entre autres, la composition magistrale sur le thème de l’argent située à l’entrée.

Muséomaniac entend également aborder la production d’expositions clé en main et itinérantes (en conception et réalisation) : « Contrairement à certaines maîtrises d’ouvrage, nous avons l’expertise technique et budgétaire de cette scénographie réalisée au moyen d’audiovisuels. »

 

À la demande de l’Institut de la Ville en Mouvement, elle réalise ainsi en 2016 l’exposition itinérante d’urbanisme prospectif, Passages, sur les zones urbaines réputées infranchissables (échangeurs routiers, etc.). Un propos au contenu ardu que la création d’audiovisuels et de multimédias a indéniablement permis de structurer. Parmi ces audiovisuels, on découvre des modules très courts sur la « parole des commissaires » présentés sous la forme d’apparitions de type Pepper’s Ghost sur des écrans de verre.

La production de tels dispositifs scénographiques fait partie des objectifs à plus ou moins long terme de Muséomaniac : « Il y a plus de 1 200 musées en France. La plupart d’entre eux ne disposent pas de budgets suffisants pour rénover en profondeur la présentation de leurs collections. Nous pouvons les mettre en valeur au travers de mini expositions ou de dispositifs audiovisuels qui vont compléter leur collection et faire scénographie. »

Point n’est besoin de faire grand. La médiation d’archives peut ainsi se contenter d’un dispositif itinérant de petite taille, comme cette borne interactive sur écran transparent tactile, en cours de production, mise au point à partir d’un carnet de guerre d’un officier de la seconde guerre mondiale.

 

Autre dispositif muséographique promis à un bel avenir, le PoP Up guide réalisé avec le designer Mathieu Lehanneur fait surgir, sur l’écran 3D relief sans lunettes du smartphone, le narrateur en fonction de la position du visiteur. Et ce, sans entraver le face-à-face avec l’œuvre d’art ou l’objet d’exposition. Ou encore ce plan « relief » numérique et interactif, destiné aux offices de tourisme ou aux expositions à volet pédagogique. En associant la projection zénithale et l’interactivité, ce dispositif, qui peut se faire monumental ou plus discret, constitue un substitut personnalisé à la classique borne multimédia.

Ces objets de médiation, parfois prototypés dans le cadre d’appels d’offre, constitueront à terme une ligne innovante de mobilier de médiation numérique. « La demande en médiation de contenu et de dispositif muséographique (pour les musées, offices de tourisme, monuments, etc.) va devenir exponentielle, prévoit Clémence Farrell. Celle-ci viendra aussi du monde des entreprises. C’est tout un marché privé à investir. L’international aussi se montre très en demande. »

Pour l’heure, la scénographe-muséographe va signer un musée des sciences pour la Chine et met au point, pour le Vietnam, un concept design entièrement basé sur des films dans l’esprit de l’Historial Jeanne d’Arc.

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #13, p.34/36. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.