Une procédure pour comprendre le workflow

Depuis quelques années, le langage technique audiovisuel, « jargon » professionnel des gens de l’image et du son, s’est largement enrichi d’une terminologie anglophone que nous avons parfois grand-peine à maîtriser.*
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Ce complément au lexique des techniques sonores et visuelles est bien sûr nécessaire ; il se justifie par l’introduction de nouveaux concepts propres aux traitements et à la dématérialisation numériques. Des notions abstraites liées aux innovations technologiques renforcent la tendance, et rendent plus difficile l’accès aux connaissances des processus audio et vidéo modernes.

Alors, faut-il laisser filer ou bien se jouer de ces anglicismes qui nourrissent les logorrhées technophiles ? Bon candidat, le mot « workflow » est un vocable auquel il est difficile d’échapper, tant il est souvent invoqué dans les argumentations expertes des initiés du secteur des industries techniques de l’image et du son. Ce mot est un bon exemple symptomatique du genre, bien ancré dans l’air des temps numériques présents : il dit la façon de procéder, il symbolise le savoir-faire technique. Même si son emploi semble être parfois considéré comme un indicateur labellisant le sérieux d’un degré de professionnalisme, une caution implicite de technicité.

 

Un mot des médias numériques

Fréquemment rencontré, le terme « workflow » est souvent utilisé sans grand discernement, et occasionnellement hors de propos. Pour s’en convaincre, au risque de griffer le vernis lexical des propos dans lesquels il est entendu, on peut simplement se référer à son équivalent français. Non pas sous forme de traduction littérale, en termes tayloristes de « flux de tâches », mais en pointant un élément de vocabulaire mal aimé et sous-employé : le mot « procédure ».

Le workflow formalise les connaissances qui renseignent nos confrères anglophones (… de la marche à suivre pour assurer le bon déroulement d’un process), comme la procédure nous explique en termes français, « comment nous devons procéder pour exécuter un processus ». Il est rassurant de constater que les mots ne manquent pas en français pour exprimer aussi ces idées-là.

Précisément, pour décrire les traitements techniques appliqués aux médias audiovisuels – à leurs composantes audio et vidéo, et leurs données informatives associées – le workflow est bien la procédure décrivant les opérations qui concourent au bon déroulement du processus. Il représente le point de vue et la contribution de l’utilisateur sur ce processus ; ce qui explique qu’il soit souvent désigné par l’expression : « processus métier ».

Or, ce qui est remarquable dans le domaine des médias numériques, et le distingue des autres activités industrielles de production, c’est que ce processus doit aussi être considéré sous deux autres aspects complémentaires et indissociables : celui des médias et celui des données.

Pour toutes les étapes de capture, d’édition, de déclinaison ou de distribution des médias audiovisuels, les processus numériques peuvent tous être analysés et décrits sous trois angles : celui qui décrit les tâches devant être effectuées par un opérateur est le workflow. Celui qui détaille les étapes de traitements, de stockages et de transports des médias avec de leurs essences audio et vidéo : c’est le mediaflow. Et celui des données d’informations qui s’agrègent au fil des étapes de la production pour documenter les contenus et les médias : c’est le dataflow.

La décomposition systématique des processus audiovisuels en ces trois représentations distinctes de workflow, mediaflow & dataflow est devenue un paradigme technique dont il est aujourd’hui bien difficile de se passer. Cette façon de considérer et de se représenter les choses est une aide précieuse pour comprendre les traitements divers qui contribuent à la fabrication et à la distribution des images et des sons qui nous entourent. C’est aussi une méthode qui permet de mieux appréhender les interactions des outils audio et vidéo contemporains avec les systèmes d’informations tiers qui documentent les contenus, et facilitent les modalités permettant d’en disposer.

Le scénario des actions devant être accomplies par un utilisateur pourra faire référence à celui des traitements, transports et stockages des médias en cours de fabrication ou de livraison, et à celui des données informatives enrichies tout au long de la chaîne de création et de distribution du programme.

 

Trois vues pour un même processus

On l’aura compris, le bon usage du mot worflow est lié à celui des termes mediaflow et dataflow, qui lui sont liés dans le contexte audiovisuel numérique, et servent à décrire ce que l’on connaît sous le nom de process. Les trois vues forment le jeu de description du processus, sous la forme la mieux adaptée au contexte des médias numériques, mais aussi à notre propre capacité de structuration mentale, connue pour ses performances… et pour ses limites.

À titre d’exemple, passons au crible de notre modèle de description un exercice multimédia volontairement choisi pour ses critères : quotidien, anodin et quasi-instinctif (surtout pour la jeune génération dite « digital native ») : il consiste à « envoyer un selfie par SMS » ; une tâche banale qui n’en mérite pas moins un examen attentif. Vous allez tout comprendre de la puissance du processus multimédia que des enfants de cours élémentaire sont capables de mettre en œuvre, mais ne le leur dites pas, ils ne le savent pas encore…

 

Workflow

On peut distinguer les étapes de réalisation de la photo et d’envoi du message. Avec une suite d’actions pour la photo :

• mettre le smartphone en marche
• lancer l’application de l’Appareil Photo
• sélectionner l’objectif inversé (pour l’autoportrait)
• cadrer l’image sur l’écran
• déclencher la prise de vue.

Suivie d’une autre séquence de manipulations pour l’envoi du message :
• lancer l’application de Photothèque
• ouvrir l’album des photos récentes
• sélectionner l’autoportrait fraîchement réalisé
• activer la fonction d’envoi par message instantané
• saisir le nom dans le champ destinataire
• saisir un petit texte d’accompagnement
• envoyer le message.

 

Mediaflow

On remarque que le fichier photo au format Jpeg généré sera d’une définition réduite, car le capteur de l’appareil opposé est de définition inférieure à celle du capteur normal. Le fichier porteur de l’extension .Jpeg est écrit et conservé sur le support interne dans la mémoire numérique de l’appareil. Les données de l’image sont aussi encodées dans un message de type SMS afin d’être transmises par un réseau numérique 3G. Suivant l’envoi du message sur le réseau disponible, l’appareil destinataire reçoit le message instantané et réplique une occurrence du média photo sur son support en mémoire numérique : la copine peut non seulement voir l’image, mais la conserver dans la photothèque de son smartphone.

 

Dataflow

La fonction « Appareil Photo » du smartphone capte des informations d’environnement diverses et les inscrit sous la forme de métadonnées qui sont embarquées dans le fichier photo Jpeg. Ce sont des métadonnées organisées au standard Exif (Exchangeable Image File Format) : la date, l’heure, le type et le numéro de série de l’appareil utilisé, la localisation géographique par coordonnées GPS au moment de la prise de vue, toutes ces informations seront stockées et transmises avec l’image, sans aucune intervention de l’utilisateur. Le nom du destinataire du message est recherché automatiquement dans le répertoire du smartphone dès la saisie des premières lettres, l’autosuggestion est proposée à la sélection ; idem pour les mots identifiés dans un dictionnaire et proposés à la saisie du texte grâce à la fonction d’autocomplétion.

 

* Extrait d’article paru, pour la première fois, dans Sonovision #4, pp. 62-63. Soyez parmi les premiers à recevoir dès sa sortie notre magazine papier en vous abonnant ici 

La suite de cet article sera accessible en ligne dans les prochains jours.