L’immersive learning au cœur du processus de formation et de prévention

Du fait de leur capacité à mettre en situation de manière immersive et interactive les personnes, la Réalité Virtuelle et la vidéo 360 sont aujourd’hui de plus en plus utilisées dans le cadre de la formation professionnelle et la prévention des accidents. Voici quelques retours d’expériences, un peu différents les uns des autres, qui montrent l’éventail des possibles.
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La formation professionnelle et la prévention des accidents sont devenues cette dernière année de véritables relais de croissance, les plus forts de la Réalité Virtuelle, notamment pour les jeunes studios de création qui s’étaient un temps spécialisés dans la VR événementielle ou dédiée à la communication corporate.

C’est notamment le cas d’UniVR Studio, un studio né à Lyon en 2014 autour de deux jeunes entrepreneurs qui évoluaient auparavant dans l’informatique et l’Internet des objets. Nicolas Perrier et Alison Foucault ont d’abord conçu des expériences ludiques pour le compte d’entreprises qui s’en servaient pour créer une animation sur les salons et dans les showrooms. Selon Nicolas Perrier, l’un des deux co-fondateurs : « Les entreprises, notamment dans le domaine médical, ont bien compris l’intérêt de la Réalité Virtuelle à base d’images de synthèse en temps réel, en tant qu’outil de marketing et de communication, mais aussi comme outil d’apprentissage de matériels médicaux sensibles ».

 

L’expérience réalisée par UniVR Studio pour la société allemande B. Braun qui fabrique et commercialise des dialyseurs est intéressante de ce point de vue. Au départ, le projet consistait pour B. Braun à simplement montrer de manière originale à ses clients, lors des congrès de médecine, une nouvelle génération d’outils de dialyse. Toutefois, en recréant dans le détail ce dialyseur dans son environnement, client et studio se sont rendu compte qu’il était possible d’aller plus loin en proposant aux personnels médicaux d’utiliser ce « dialyseur virtuel », non seulement pour montrer les possibilités de la machine, mais aussi en tant qu’outil d’apprentissage de manipulations complexes liées à la maintenance des appareils en cours d’utilisation.

 

« En effet, précise Nicolas Perrier, avec de telles machines, qui coûtent plusieurs dizaines de milliers d’euros et qui ne sont pas toujours aisées à manipuler en live avec des patients, les éventuelles erreurs de manipulation représentent un risque pour le patient et pour la machine qu’il est plus prudent d’appréhender sous forme de simulation, en complément de l’apprentissage réel in situ ».

Ce simulateur 3D réaliste a été conçu pour être utilisé avec un HTC Vive. Il a nécessité deux mois de travail pour une équipe de sept infographistes.

Dans un registre légèrement différent, UniVR studio est aussi en train de réaliser un simulateur de production de vaccins offrant la possibilité de manipuler de manière virtuelle des souches virales particulièrement dangereuses. Cette fois-ci, le studio VR va utiliser l’Occulus Rift et ses manettes Occulus Touch pour obtenir plus de précision dans la gestuelle des manipulations médicales. « Bien entendu, dans tous les cas, précise Nicolas Perrier, ces apprentissages virtuels ne remplacent pas la formation en présentiel, mais ils représentent une séquence d’expérimentation courte à l’intérieur ou en marge d’un présentiel ».

Commençant à disposer de solides références dans le milieu médical, le jeune studio UniVR est aussi en train de tester les capacités d’outils spécialisés dans la captation de mouvement à l’intérieur d’un « cave » comme optitrack, afin d’être le plus précis possible dans la reproduction virtuelle des gestes et pouvoir simuler de manière suffisamment réaliste des actes chirurgicaux.

 

Dans la même veine qu’UniVR studio, le studio Back Light a fait parler de lui récemment avec sa simulation sur plate-forme VR HTC Vive des manipulations dangereuses à l’intérieur d’une cuisine professionnelle. Conçue pour le compte de la société de restauration d’entreprise Sodexo, cette simulation en images de synthèse à 360 ° a la particularité d’être enrichie de hotspots pédagogiques aux endroits à risques. À noter que Back Light, tout comme UniVR Studio, font partie du GIE VR Connection qui regroupe une dizaine de studios VR parmi les plus dynamiques en France aujourd’hui.

Pour Alexandre Ibanez, le dirigeant de VR Connection : « La conception d’expériences destinées à faire l’apprentissage des bons gestes et à prévenir des accidents représente une part de plus en plus significative de l’activité des studios de VR, souvent autour de 40 % du chiffre d’affaires. Les expériences en images de synthèse animées en temps réel utilisables à l’aide de masques haut de gamme comme le HTC Vive ont l’avantage de créer des interactions riches entre l’utilisateur et son environnement. Elles proposent aujourd’hui le maximum du pouvoir expérimental de la Réalité Virtuelle. Le principal obstacle est avant tout budgétaire, car la création de plusieurs espaces 3D réalistes en images de synthèse en temps réel peut vite représenter des budgets atteignant la centaine de milliers d’euros. Il faut donc, pour l’entreprise ou l’organisme qui veut s’en servir pour de la formation, avoir la certitude de pouvoir l’utiliser auprès d’un grand nombre de personnes ».

De ce fait, Alexandre Ibanez milite aussi à son niveau auprès des OPCA pour que les expériences virtuelles soient intégrées aux cursus de formation professionnelle pris en charge dans le cadre de la formation continue, au même titre que le Digital Learning.

 

 

La Vidéo 360° pour son réalisme

La Réalité Virtuelle sous la forme d’une expérience dans laquelle on peut agir en temps réel avec un environnement virtuel en images de synthèse a ses limites. Hors des lieux de formation pouvant accueillir des dispositifs HTC Vive ou Occulus Rift et d’un public restreint, seuls les cardboards et autres Samsung Gear VR sont capables de toucher un large public au même moment. En outre, les casques VR haut de gamme restent encore inaccessibles pour nombre d’établissements de formation. C’est pourquoi, concernant les opérations de formation ou de prévention à grande échelle, les organismes d’assurance par exemple ont très tôt opté pour la vidéo 360 ° linéaire visible avec un cardboard ou Samsung Gear VR.

 

Ce fut le cas dès novembre 2015, pour l’association Prévention Routière et Allianz qui ont conçu conjointement VizioKid, une série de vidéos 360 ° scénarisées autour de la vision d’un enfant de huit ans qui se promène dans la rue et découvre ses dangers. Ces vidéos 360 ° avaient pour but de sensibiliser les adultes aux dangers pour les enfants d’une simple marche quotidienne sur le chemin de l’école. L’expérience a été rendue publique directement dans la rue et ensuite diffusée sur YouTube. Le résultat en termes d’audience sur les réseaux sociaux est demeuré modeste (un peu moins de 3 000 vues sur YouTube), mais les retours de la part d’adultes lors des visionnages in situ ont été très positifs. La GMF, assurance spécialisée dans la fonction publique, s’est elle aussi très tôt investie dans la vidéo 360 ° en créant une série de trois clips 360 ° sur plus de deux ans. Ces trois clips ont été visionnés avec des Samsung Gear VR sur plus d’une centaine de salons et sont également visibles sur YouTube avec une audience grandissante au fur et à mesure des clips, pour atteindre 9 000 vues concernant le dernier clip en date.

 

Pour se lancer dans cette nouvelle aventure, la GMF s’est appuyée sur la société de production Interlinks Image avec laquelle elle avait déjà conçu un DVD sur la prévention des risques d’accidents de la route. Le producteur lui-même, Guillaume Valabrègue, s’est reposé sur le réalisateur Pascal Tirilly, aidé pour la partie technique au tournage et en postproduction par un prestataire bien connu dans ce domaine, DV Mobile.

 

Le premier film, baptisé La Ballade de Charlotte, a été tourné en 2015. Il met en scène une adolescente avec son casque audio sur les oreilles et les yeux rivés sur son smartphone ne voyant pas venir suffisamment tôt les dangers de la route. Le second, La Route alcoolisée, tourné un an plus tard, représente les minutes qui précèdent un accident de voiture dû à la vitesse excessive et à l’alcool. Enfin, le dernier film, baptisé La Route partagée, a été tourné en 2017 et suit un deux-roues au long de la multitude de dangers qui le guette sur un banal trajet urbain.

 

« Dans l’ensemble de ces films, explique Guillaume Valabrègue, le producteur, le parti-pris a été de tourner de manière quasi-journalistique, afin de renforcer au maximum la sensation de réalisme et donc la vraisemblance de l’immersion ». De ce fait aussi, chaque tournage a été concentré sur une journée, à l’exception du troisième clip qui a nécessité deux jours de tournage et de nombreuses autorisations auprès de la préfecture de police de Paris.

Comme l’indique Guillaume Valabrègue : « Vu que les dangers de la route proviennent la plupart du temps d’un manque de concentration, nous pensions que la vidéo 360 ° était particulièrement adaptée au jeu avec le champ de vision du spectateur, conducteur ou piéton. Nous avons donc pris soin de ménager des effets de surprise au sein des séquences en caméra subjective en plaçant des évènements hors du champ de vision principal à bord d’un véhicule. »

 

De son côté, le réalisateur Pascal Trilly souligne volontiers avoir progressé dans son approche scénaristique au fur et à mesure des tournages 360 °. « La vidéo 360 ° oblige, au moins de manière empirique, à s’intéresser à la proprioception (NDLR : la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps), car lors des premiers tournages nous avons fait des petites erreurs de ce point de vue en plaçant les caméras parfois à des endroits incohérents vis-à-vis d’une vision humaine “naturelle”. De même, afin d’éviter le motionsickness, nous avons tourné à 60 i/s ».

« Hormis ces principes de base à assimiler, continue Pascal Trilly, nous avons dans chaque film alterné au maximum les placements de caméras pour une même scène. Notre objectif était à la fois de donner du rythme aux séquences et de permettre de mieux faire comprendre l’ensemble d’une scène d’accident ou de potentiel accident. Dans chaque film, on alterne régulièrement les points de vue subjectifs des conducteurs, pilotes ou piétons avec des points de vue “ fantômes ” qui correspondent à des témoins de la scène. Cela permet de donner un peu de recul au spectateur, lui-même acteur de la scène ». Dans le dernier des trois clips, La Route partagée, la scénarisation qui a fait l’objet d’un storyboard précis et de repérages allant jusqu’à la synchronisation des feux de signalisation, est même érigée au rang de véritable chorégraphie.

 

Comme souvent en vidéo 360 ° le son revêt une importance capitale et, dans ce même clip, la prise de son s’est effectuée à l’aide d’un microphone Ambisonic renforcé au mixage par des prises à la perche en son monophonique qui étaient ajoutées au moment du mixage.

L’ensemble de ces clips a été tourné à l’aide du rig 360 ° pour GoPro Mercury développé par DV Mobile. Dans la mesure où le retour vidéo en wi-fi ne pouvait pas être opérationnel sur de tels tournages se déroulant à bord de véhicules, un pré-stitching était réalisé sur le lieu même du tournage, à l’intérieur d’un mini-car régie fourni par DV Mobile. Ainsi, 15 à 20 minutes après chaque prise il était possible de savoir si elle était bonne de bout en bout.

Afin d’accentuer chaque danger dans ce même clip et de distiller des informations pédagogiques, Pascal Trilly a aussi inséré à la postproduction des gels d’images au sein de chaque séquence, qui étaient enrichis de « warnings » indiquant, en plus des commentaires de la motarde, la nature des infractions au code de la route constatées.

 

 

Les spécialistes du digital learning aussi

Pour la société française Takoma, spécialisée depuis 16 ans dans le e-learning, la Réalité Virtuelle et la vidéo 360 ° ne sont que des outils numériques parmi d’autres, au service de l’ingénierie pédagogique. Ce spécialiste du digital learning peut en parler en toute connaissance de cause, puisque depuis deux ans il a déjà à son actif près d’une dizaine d’expériences en VR.

« Même si nous profitons de l’effet Waouh ! de cette nouvelle technologie, nous tentons de nous situer au-delà de l’effet de mode pour choisir la VR uniquement quand elle apporte quelque chose de pertinent sur le plan pédagogique », indique Olivier Soler, directeur régional de Takoma et associé de l’entreprise. Aujourd’hui, Takoma propose la VR dans trois directions principalement : la formation technique, commerciale et le serious game. « La VR, souligne Olivier Soler, a le mérite de permettre une meilleure rétention des informations, notamment quand il s’agit d’apprendre des procédures complexes. » Le meilleur exemple est la formation à la procédure de sécurité freinage réalisée pour le compte de la RATP qui se présentait sous forme de sphères photographiques 360 ° représentant différentes interfaces homme/machine à l’intérieur desquelles des points d’interaction étaient placés, déclenchant des actions ou des mini-quiz. Dans le domaine commercial, ce sont les forces de ventes de Nissan qui utilisent désormais la VR pour découvrir de nouveaux modèles avant qu’ils n’arrivent en concession. Enfin, pour la société spécialisée dans les sondes urinaires Coloplast, Takoma a développé un module d’apprentissage en VR de la pose de ces sondes en s’appuyant sur la recréation d’un cabinet médical en images de synthèse 360 ° et sur la capture de mouvement permise par l’Occulus Rift.

 

La Réalité Virtuelle permet également d’introduire la gamification dans des contenus pédagogiques complexes. Au-delà des réalisations de Takoma en la matière, on note aussi le jeu en VR mis en place récemment par la Prévention routière avec Allianz autour de l’application Mène ton enquête. Conçu par le studio Alternativ Reality-Neo Digital, ce serious game est constitué de deux accidents de la circulation mettant en cause un conducteur de camion pour l’un et un conducteur d’autocar pour l’autre. Incarnant un journaliste d’investigation, le joueur a pour mission d’écrire un article, mais pour être en mesure de le faire, il lui faut comprendre les scenarii des deux accidents. Le jeu met alors en exergue, grâce aux visions subjectives en VR, les risques inhérents aux angles morts en milieu urbain… la problématique de prévention que voulaient traiter la Prévention routière et Allianz.

 

* Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #9, p.26-30. Abonnez-vous au magazine Sonovision (1 an • 4 numéros + 1 hors-série) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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